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L'annexe documentaire du travail : articles tirés de la presse genevoise:




La presse genevoise

face à

l'Allemagne national-socialiste

Mémoire de licence en histoire générale présenté par

Marc Reymond

en juin 1998 à l'Université de Genève , Faculté des Lettres, sous la direction du professeur Jean-Claude Favez



Table des matières

1 : Introduction

1.1 : Problèmes, méthodes et problèmes de méthode

1.2 : Le problème de l'opinion publique

1.3 : Choix des sources

2 : La presse genevoise face à l'Allemagne national-socialiste

2.1 : La droite traditionnelle face à l'Allemagne national-socialiste

2.1.1 : Le Journal de Genève, organe officieux du Parti démocrate

2.1.2 : Le Genevois et Le Peuple Genevois, organes radicaux

2.1.3 : La Suisse, un quotidien populiste

2.1.4 : Le Courrier de Genève, un quotidien difficile à classer

2.2 : L'extrême droite face à l'Allemagne national-socialiste

2.2.1 : Le Pilori, organe de Georges Oltramare

2.2.2 : L'Action Nationale, organe de l'Union Nationale

2.2.3 : Autres périodiques d'extrême droite et feuilles éphémères

2.3 : La gauche face à l'Allemagne national-socialiste

2.3.1 : Le Travail, organe du Parti socialiste

2.3.2 : La Bise : un anti-Pilori

2.4 : L'extrême gauche face à l'Allemagne national-socialiste

2.4.1 : Le Drapeau Rouge et La Lutte, organes du Parti communiste

2.4.2 : Le Réveil anarchiste, organe de Louis Bertoni

3 : Conclusion

4 : Sources et bibliographie

4.1 et 4.2 : Sources

4.3 : Bibliographie




N.B.: * Les astérisques indiquent que l'article mentionné figure dans notre annexe documentaire.



1 : Introduction

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1.1: Problèmes, méthodes et problèmes de méthode

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L'objectif de ce travail est de décrire et d'expliquer l'attitude de la presse genevoise face à l'Allemagne national-socialiste entre janvier 1933 et août 1934. Cette période restreinte, qui va de l'accession d'Hitler à la Chancellerie jusqu'à son accession à la Présidence du Reich, permet d'appréhender l'évolution des opinions des différents groupements politiques face à un mouvement d'abord méconnu et dont l'assise paraît fragile, qui s'affirme ensuite de manière rapide et spectaculaire, qui après s'installe dans une certaine routine ponctuée de quelques coups d'éclats, et qui enfin refait la une des journaux pendant plusieurs semaines avec la Nuit des longs couteaux, l'assassinat du chancelier Dollfuss, la mort du maréchal Hindenburg et son remplacement, à la Présidence comme à la tête des armées, par Hitler.

Nous nous proposons donc de mettre en lumière l'opinion des principaux cercles politiques genevois, et de la rendre intelligible au regard des particularismes genevois aussi bien qu'au regard de qui se passe à l'échelle de l'Europe. Ce que nous voulons, c'est placer cette étude dans le cadre de l'histoire des idées politiques en étudiant les réactions du plus grand nombre possible de groupements politiques genevois, placés dans le champ magnétique du nazisme, pour reprendre l'expression de Philippe Burrin 1. Quelles furent les réactions face au national-socialisme ? Ce régime a-t-il été pris en exemple par certains mouvements, alors que le système démocratique suisse était remis en question au sein de presque tous les mouvements politiques ? Ou au contraire a-t-il desservi la cause de l'autoritarisme par ses dérives ? Y'a-t-il des différences de jugement entre la politique intérieure et la politique extérieure du Troisième Reich ?

Toutefois, autant que faire se peut, nous essayerons également de mesurer l'attraction ou la répulsion exercée par les autres champs magnétiques agissant en Europe et qui ont leur source en France, en Grande-Bretagne, en Italie et en URSS. Cela nous a paru indispensable dans la mesure où il n'est guère possible d'isoler l'influence d'un seul de ces champs : dans la plupart des cas une forte répulsion par l'URSS aura pour corollaire une forte attraction par l'Italie, si non par l'Allemagne. Dans une certaine mesure une tendance politique peut aussi bien se définir par ce qu'elle rejette que par ce qui l'attire. D'autre part cette démarche se justifie aussi par le fait qu'en pratique, dans les journaux que nous avons dépouillés, les régimes politiques sont comparés entre eux, l'opinion face à l'un étant en interaction avec l'opinion face aux autres.

De ce point de vue l'attitude vis-à-vis à l'Allemagne national-socialiste entre 1933 et 1934 est un prétexte, et aussi un fil d'Ariane pour nous guider dans le dédale de la presse genevoise, que nous voudrions traiter de manière assez générale. Ce but assez large - donner un aperçu d'ensemble de la presse genevoise au début des années trente - peut être justifié par le fait qu'il n'existe pas, à notre connaissance, d'étude générale sur ce sujet, mais qu'il existe plusieurs études particulières 2. Ce travail ne saurait traiter de manière pertinente l'ensemble de cette question ; néanmoins nous espérons qu'il puisse en être une première ébauche. La conséquence logique d'une telle approche est l'importance relative accordée aux parties synthétiques - introductions et conclusions - au détriment de l'analyse, c'est-à-dire des citations extraites des sources - citations qui deviennent d'ailleurs vite répétitives. Nous n'avons gardé que les plus représentatives, avec l'inconvénient que c'est nous qui avons décidé celles qui l'étaient et celles qui ne l'étaient pas. Toutefois notre travail comporte une annexe documentaire, qui est restreinte en regard de tous les journaux que nous avons consultés, mais qui permet tout de même au lecteur curieux de prolonger aussi bien nos analyses que nos conclusions.

Il nous faut également justifier la périodisation adoptée; la date de départ, le 30 janvier 1933, ne semble pas poser de problème. Pourtant, nous le verrons en détail, pour la presse de l'époque le 30 janvier se place dans une continuité, et non en rupture, et ce n'est que plus tard que l'historiographie en fera un événement charnière. Dans la presse contemporaine de l'événement, l'Allemagne national-socialiste ne semble pas naître d'un seul coup avec l'accession d'Hitler à la Chancellerie, mais au contraire elle semble se construire en février et surtout en mars 1933. Nous assisterons donc, à travers la presse genevoise, à cette construction graduelle; par contre nous avons consulté peu de journaux antérieurs au 1er janvier 1933, ce qui est sans doute une lacune pour comprendre les sentiments à l'égard de l'Allemagne indépendamment de son régime politique. Car, nous le verrons, le regard porté sur le national-socialisme est influencé par, et influence à son tour, un regard à plus long terme sur le grand voisin germanique; comme en France l'extrême droite a du vaincre sa germanophobie pour pouvoir admirer le régime hitlérien.

Quant à la date qui clôt notre période, nous avons pris la décision de ne pas étudier en détail la presse genevoise au-delà du mois d'août 1934, date à partir de laquelle le pouvoir de Hitler ne connaît plus guère de limites. En effet, il est à la fois chef du gouvernement et de l'Etat, il bénéficie de pouvoirs étendus puisque le 23 mars 1933 le Reichstag a transféré ses pouvoirs à l'Exécutif pour une durée de quatre ans, et que les organisations politiques autres que le NSDAP ont été muselées, si non dissoutes. Autrement dit, le cabinet Hitler qui semblait si fragile à ses débuts est, en août 1934, incomparablement plus solide ; en dix-huit mois le Führer est devenu un acteur essentiel de la politique européenne. De plus le dépouillement des quotidiens prend un temps considérable et nous avons préféré faire notre possible sur une période assez courte. Toutefois, nous avons consulté des journaux postérieurs à cette période, de manière à pouvoir élargir un peu notre perspective ; cela a surtout été possible pour les hebdomadaires, les mensuels et les feuilles éphémères (c'est sous cette appellation que sont regroupés, à la Bibliothèque Publique et Universitaire de Genève (BPU), les périodiques qui ont eu une existence très courte).

Pour qu'une étude de ce genre ait un intérêt, il faut naturellement que chacun ait le droit de s'exprimer librement, condition nécessaire à la pluralité des partis politiques. A cet égard Genève, et d'ailleurs la Suisse en général, remplissent très bien cette exigence et les citoyens font largement usage de ces libertés, puisque on trouve dans le pays le plus grand nombre de titres de journaux par habitants en Europe 3. Ce grand nombre recouvre une réelle diversité de tendances, et à l'échelle de la ville même le nombre de quotidiens est important. Cette diversité n'est pas propre à la période considérée, elle est propre à la Confédération helvétique, à son système favorisant la fragmentation politique et administrative et à la démocratie semi-directe qui multiplie les élections et les votations sur les sujets les plus divers. Ces élections et ces votations ont en outre un grand intérêt pour nous, puisqu'elles permettent d'apprécier l'audience des journaux. Car le lien entre la politique et la presse est d'autant plus fort que les principaux rédacteurs sont, de manière très générale, impliqués dans la vie politique. Il faut encore souligner le fait que les journaux restent le seul media ayant une influence sur la vie politique; en effet la radiodiffusion, qui connaît alors un formidable essor, joue probablement un rôle marginal dans ce domaine 4, même s'il faut tenir compte, comme le fait le Rapport du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur le régime de la presse en Suisse avant et pendant la période de guerre de 1939 à 1945 5, du fait que la radio permet désormais de se faire une opinion personnelle avant l'arrivée du journal, et donc que celui-ci se trouve peut-être en partie " court-circuité ".

Tout cela nous a amené à penser que la presse était le moyen le plus efficace de cerner l'évolution des idées politiques face aux régimes étrangers dans la Genève des années trente.

1.2 : Le problème de l'opinion publique

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Nous pensons qu'il est également utile de mentionner explicitement certains buts que nous ne poursuivons pas, en particulier celui de décrire l'opinion publique. Cette notion, ou ce concept, nous le trouvons trop vague et correspondant mal aux sources que nous avons dépouillées - la presse.

En effet, voici comment certains définissent l'opinion publique:

"Retenons cette définition prudente de Stoetzel qui laisse une grande place à la subjectivité des individus: l'opinion publique, c'est le "sentiment dominant au sein d'une certaine communauté sociale, accompagné plus ou moins clairement, chez les sujets, de l'impression que ce sentiment leur est commun."" 6

, ou encore:

"[...] consensus d'idées et de tendances qui emportent le courant des divergences" 7.

Nous ne voyons pas à quoi peut correspondre la recherche de l'opinion publique, si ce n'est à dégager des généralités connues de tous. Par exemple, Jacques Meurant écrit, dans sa conclusion, que la France est le pays qui recueille, en général évidemment, le plus de sympathie auprès des Suisses romands et la Russie le moins 8; mais cela est su, cela est évident 9 et la meilleure approche pour le démontrer n'est pas forcément une analyse quantitative des journaux à grand tirage. Car ce classement des grands pays d'Europe n'est pas fait en fonction des affinités politiques mais en fonction des sentiments; cela n'est plus du domaine de l'opinion publique mais de celui de l'histoire des mentalités, qui ne se satisfait pas de périodes aussi courtes (le classement, en soixante ans, n'a probablement pas changé, mais le fait n'est même pas relevé). Il nous semble d'autant moins intéressant de faire ce genre de comparaisons dans le contexte des années trente, quand tant d'opinions individuelles sont si tranchées et tellement antagonistes qu'elles ne se prêtent pas au jeu des moyennes, ou plus précisément que cette moyenne correspond en fait à une infime partie des opinions.

Nous posons donc clairement le type de question auxquelles nous ne chercherons pas à répondre: Quel pourcentage de la population trouve l'Allemagne national-socialiste un peu sympathique, très sympathique ou pas du tout sympathique ? Hitler est-il apprécié de l'opinion publique genevoise ? Est-ce que l'opinion publique approuve plus l'antisémitisme allemand que son anticommunisme ? etc.

Puisque nous réfutons en grande partie le concept d'opinion publique, surtout dans ce contexte, nous n'essayerons pas de savoir quelle fut l'influence de la presse sur l'opinion publique, ni inversement l'influence de l'opinion publique sur la presse. Il y a d'ailleurs quelque chose d'artificiel dans cette frontière infranchissable que certains s'obstinent à mettre; si nous reprenons l'ouvrage de Jacques Meurant nous voyons, dans l'introduction surtout, à quel point il sépare l'opinion publique de la presse, en y faisant presque deux choses différentes, tout en affirmant les innombrables interactions qui les lient dans la pratique.

Dans le cadre de notre sujet - l'opinion des différents cercles politiques genevois - il ne nous semble pas nécessaire d'introduire deux concepts bien distincts; il nous semble au contraire qu'à cet échelon très local, dans le cadre limité d'une petite ville, les interactions entre lecteurs et journaux sont tellement fortes que les uns et les autres ne sauraient recouvrir des réalités différentes. La grande liberté avec laquelle s'exprime la presse, ainsi que les fréquentes votations qui maintiennent un lien permanent entre les politiciens et la population, ne sont évidemment pas étrangères à cette identité ; mais ce qui est encore plus important, c'est que les journalistes sont très souvent des citoyens engagés, des représentants de partis politiques au Grand Conseil, aux Chambres fédérales ou des élus au Conseil d'Etat, participant aux débats publics et que la population connaît bien. On peut citer Théodore Aubert, Henri Berra, Edouard Chapuisat, Jules-Ernest Gross, André Guinand, René Leyvraz, Jean et William Martin, Léon Nicole, Georges Oltramare, René Payot, etc. Nous ne pensons donc pas qu'il y ait lieu de distinguer entre l'opinion des sympathisants, de la base, et la presse.

Mais peut-être notre aversion pour les méthodes sociologiques n'est-elle que le reflet de cette incompréhension réciproque si souvent constatée entre historiens et sociologues.

1.3: Choix des sources

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Nous l'avons dit, la presse genevoise se caractérise par une certaine diversité; dès lors quelle sélection opérer parmi l'abondance des publications? D'abord nous n'avons retenu que les périodiques servant de support à des opinions politiques et ceux qui diffusent des informations concernant la politique internationale. Nous avons donc exclu les gazettes communales aussi bien que les périodiques spécialisés dans l'information sportive, touristique, etc. Au total, nous avons retenu quatre quotidiens et une vingtaine d'autres périodiques 10.

Pour ce qui est des quotidiens, nous avons choisi d'en dépouiller quatre sur les sept paraissant à Genève, à savoir le Journal de Genève, le Courrier de Genève, La Suisse et le Travail. Par contre nous n'avons fait que consulter les trois autres quotidiens : le Journal des Nations, Le Moment et la Tribune de Genève. Pour ce qui est de la Tribune de Genève, qui a pourtant un très fort tirage pour un journal suisse (environ 50'000 exemplaires en 1936 11), nous avons vite constaté que ce quotidien ne pouvait pas apporter grand-chose à notre recherche, les opinions exprimées étant à la fois rares, brèves et nuancées au possible. L'explication est simple: la Tribune de Genève est un journal d'information, non d'opinion, s'adressant à un public très large : il est avant tout une entreprise commerciale. Il se peut que le dépouillement de la Tribune de Genève soit utile pour saisir cette fantomatique opinion publique, ou opinion moyenne, mais ce journal ne saurait s'inscrire dans la perspective que nous avons choisie. Quant au Moment, il est à peine plus engagé que le Tribune de Genève, mais tout aussi commercial, et surtout il ne paraît que pendant quelques mois qui ne comprennent ni le 30 janvier 1933, ni l'été 1934. Enfin, concernant le Journal des Nations, pour la période qui nous concerne il n'émet que peu d'opinions : c'est un journal d'information très sérieux où sont repris un grand nombre d'articles de grands journaux étrangers et où sont publiés beaucoup de communiqués émanant des gouvernements. Cela constitue l'essentiel du journal, qui est donc axé sur la politique internationale, trop même pour notre sujet puisqu'il n'a quasiment pas de rapport avec la politique genevoise.

Quant aux périodiques non-quotidiens, nous avons essayé de les traiter de manière quasiment exhaustive, dans la mesure où ils concernent notre sujet et où nous sommes parvenus à les trouver (les collections de la BPU n'étant peut-être pas toujours complètes). En effet le volume de ces parutions est souvent faible: peu de pages, des fréquences parfois erratiques, une sensibilité moindre à l'égard des secousses de l'événement (avec pour corollaire la répétition d'une doctrine), peu d'intérêt pour l'Allemagne et la politique étrangère en général. Beaucoup de ces titres peuvent être dépouillés en deux ou trois jours pour toute la période qui nous intéresse, d'autres résisteront une semaine ou deux tout au plus (les hebdomadaires). C'est pour cela que nous parlions d'une "certaine diversité": diversité des tendances certes, mais non dans le volume édité. Les quotidiens y tiennent une place écrasante, par les informations qu'ils diffusent et par les commentaires qu'ils font, sans parler de leurs éventuels correspondants en Suisse et à l'étranger. Nous aurions voulu accorder autant de place aux uns qu'aux autres, mais nous nous sommes vite rendu compte que bien des journaux non-quotidiens ne présentaient qu'un faible intérêt, et que l'on avait vite fait le tour de leur doctrine.

Concernant les sources, nous avons également consulté des ouvrages ou des opuscules politiques écrits pendant les années trente et ayant trait à notre sujet. En effet, comme nous l'avons déjà souligné, la plupart des journalistes que nous avons rencontrés dans notre recherche étaient engagés politiquement et, de manière générale, ils ont écrit des livres, des brochures ou des pamphlets où ils expriment leurs opinions politiques, de manière souvent un peu plus complète que dans leurs journaux respectifs. Ces sources permettent de donner du relief à ces journalistes, de mieux les situer. De même pour les personnes, surtout des hommes politiques, qui ont écrit leurs mémoires ou des souvenirs. La liste de ces ouvrages que nous avons consultés se trouve en bibliographie.

2 : La presse genevoise face à l'Allemagne national-socialiste

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Il n'est pas dans notre intention de refaire l'histoire de Genève durant les années trente; cette histoire a déjà été faite 12. Par contre il est sans doute nécessaire de rappeler quelques éléments à propos de la presse. Premièrement il est clair que la presse genevoise reflète le climat très tendu, politiquement et socialement, qui règne à Genève aussi bien que dans le reste de l'Europe. Les événements du 9 novembre 1932, quand des recrues ouvrent le feu sur des manifestants de gauche qui protestaient contre une réunion d'extrême droite, sont une conséquence de ces tensions, mais aussi une cause de division qui va faire sentir ses effets encore longtemps. Ce climat n'est pas tant le résultat de la crise économique, qui touche la Suisse tardivement et de manière atténuée, que le résultat de l'affrontement de différents systèmes de société, qui fait rage partout en Europe depuis la fin de la Grande guerre. Incontestablement, Genève est prise dans ce mouvement : plusieurs auteurs l'ont souligné, dont Albert Gossin qui rédigea une thèse fort intéressante sur la presse suisse en 1936 :

C'est à Genève qu'elle [la polémique] se manifeste véritablement encore, actionnée qu'elle est là-bas par l'esprit frondeur des habitants et la violence des luttes politiques qui s'y déroulent. 13

C'est aussi l'avis de François-Xavier Perroud :

Genève, fière de son ouverture sur le monde, ne peut se soustraire à ce bouleversement politique [montée de l'extrémisme en Europe]. 14

Mais si certaines explications peuvent être avancées, elles n'éclairent pas complètement le phénomène :

Mais ni cette modification seule [augmentation du nombre de Confédérés à Genève], ni la tradition ne suffisent à expliquer la violence des luttes politiques durant l'entre-deux-guerres, d'autant plus que l'analyse du vocabulaire politique, en permettant de décrypter les programmes et les buts des différents mouvements et partis, démontrerait à coup sûr que les révolutionnaires sont relativement rares et en tous cas totalement en marge, sur le plan politique, culturel et social. 15

Genève, en participant à ce vaste mouvement d'idées sans que l'on puisse vraiment en déceler les causes matérielles, révèle-t-elle son cosmopolitisme, son regard tourné vers le monde du haut du Palais des Nations ? Quoi qu'il en soit les ressorts de la violences des luttes politiques restent en partie mystérieux.

2.1 : La droite traditionnelle face à l'Allemagne national-socialiste

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Par droite traditionnelle nous entendons le groupe formé par le Parti démocrate - ancêtre de l'actuel Parti libéral, le Parti Radical et le Parti des indépendants et chrétiens-sociaux. Par contre nous en excluons l'Union Nationale (UN), qui en 1933 vient de naître de la fusion de l'Ordre Politique National (OPN) et de l'Union de Défense Economique (UDE). Cette dernière, en tant que groupe ayant fait dissidence du Parti démocrate en 1923, aurait sa place dans la droite traditionnelle, mais il nous semble que le mouvement qui résulte de sa fusion avec l'OPN doit être traité avec l'extrême droite. En effet la tendance UDE va être rapidement éliminée de l'UN, au profit de la tendance OPN 16, et l'Union Nationale va progressivement devenir une organisation de type fasciste 17 (bien qu'électoralement l'UN reste soudée à la droite traditionnelle au sein de l'Entente). Quant aux radicaux, alliés aux socialistes jusqu'en 1927, ils doivent être inclus dans la droite traditionnelle même s'ils se situent à gauche de ce courant ; en effet, suite à la victoire socialiste dans l'élection au Conseil d'Etat en novembre 1933, les radicaux vont faire bloc avec les démocrates et les chrétiens-sociaux, sur le plan électoral en tous cas et malgré de nombreuses frictions avec les chrétiens-sociaux et l'Union Nationale. Pour ce qui est des chrétiens-sociaux la question se pose également de savoir s'ils font réellement partie de la droite traditionnelle, car les champs magnétiques du fascisme ont exercé sur eux une attraction indéniable, comme nous le verrons en étudiant le Courrier de Genève.

Quoi qu'il en soit les divisions en catégories politiques demeurent toujours arbitraires , elles dissimulent ce qui fait la particularité de chaque mouvement et cachent les nuances qui font que le passage d'une catégorie à l'autre, en fait, est toujours progressif. Nous aurons d'ailleurs à reparler de ces classifications, à partir d'exemples concrets ; pour l'instant elle nous fournissent une grille d'analyse a priori qui permet d'entrer dans le sujet.

2.1.1 : Le Journal de Genève, organe officieux du Parti démocrate

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Bien que le Journal de Genève ne soit pas l'organe officiel du Parti démocrate, il en est incontestablement le porte-parole officieux : en période électorale il publie la liste du Parti et il donne la parole à ses candidats. D'autre part ses principaux rédacteurs sont proches du Parti démocrate, quand ils n'en font pas partie (Jean Martin, qui est président du parti de1923 à 1925 et de 1930 à 1931, puis directeur du Journal de Genève à partir de 1933 ; Edouard Chapuisat, qui est député démocrate au Grand Conseil de 1919 à 1939, président de ce Grand Conseil en 1932 et président du Parti démocrate de 1939 à 1941, et qui en 1918 succède à Georges Wagnière (1862-1948), qui devient ambassadeur de Suisse à Rome, au poste de directeur du Journal de Genève; Ulysse Kunz-Aubert, qui est secrétaire général du Parti démocrate à partir de 1917, René Payot,...). Ce lien peut aussi être constaté quand, en novembre 1933, l'Imprimerie du Journal de Genève fait paraître L'Effort démocratique, qui publie la liste des candidats du parti, ainsi que son programme :

Le Parti démocratique veut :
L'union des citoyens et la collaboration des classes.
La liberté dans l'ordre.
L'application des lois par un Gouvernement fort.
La défense de la Religion contre les " Sans-Dieu ".
La Corporation soustraite à l'influence des politiciens.
La protection de la famille et les allocations familiales.
Pour les chômeurs : remplacement de l'assistance par du travail.
La défense de NOTRE agriculture et de NOTRE commerce.
L'assermentation de tous les fonctionnaires.
Des fonctionnaires capables dans une administration simplifiée.
L'exclusion des communistes de toute activité publique.
La révocation des éducateurs reconnus coupables de propagande marxiste.
Point de dépenses sans absolue nécessité et sans contrôle sévère.

Il nous semble inutile de faire ici l'historique du Journal de Genève puisque cela a déjà été fait, d'une part, jusqu'en 1929, par le Journal lui-même à l'occasion de son centenaire 18, et d'autre part dans différents mémoires de licence présentés à l'Université de Genève. Le Journal de Genève est sans doute le périodique genevois qui a été le plus utilisé comme source par les historiens. Nous ne rappelons ici que quelques éléments de l'histoire du Journal de Genève. Il se réclame du libéralisme, surtout depuis la révolution radicale genevoise, à laquelle il s'oppose (c'est le sens de sa devise: Nous maintiendrons). A cette période il est donc le journal d'un certain patriciat, dont le stéréotype serait un banquier protestant ou un intellectuel issu d'une grande famille genevoise. Cette particularité va peser longtemps encore sur le Journal de Genève, mais de manière toujours plus estompée. Dans les années trente elle reste encore bien présente, par exemple dans l'éclectisme de ses sujets : articles sur les techniques, les sciences ou les découvertes, rubrique échiquéenne hebdomadaire tenue par André Chéron (l'un des plus grands problémistes français), articles de personnalités genevoises (Eugène Pittard 19, Henri Gagnebin, Robert de Traz, Claparède...) et même étrangères.

Le Journal de Genève se distingue de tous les autres périodiques (à l'exception du Courrier de Genève) par l'importance des parties rédactionnelles consacrées à la politique étrangère, et surtout par le fait qu'il publie régulièrement des correspondances de l'étranger; par contre les faits locaux et les faits divers, de même que les sports et les spectacles, y tiennent une faible place. Il est aussi le journal le plus élitiste de la place, en ce sens qu'il se destine avant tout aux gens solidement instruits et qu'il a l'ambition d'être lu par les grands de ce monde, par ceux qui décident. William Martin, qui est le rédacteur chargé de la politique étrangère au Journal de Genève de 1924 à 1933, décrit ces ambitions:

Le rôle d'un journal placé dans ces conditions [Genève en tant que centre international de premier ordre] est particulièrement difficile. Il s'adresse à deux publics, l'un local, l'autre étranger, dont les préoccupations sont différentes. Avec des moyens matériels limités, il doit jouer un rôle européen. Avec une base nationale étroite, il doit recruter, un par un, des lecteurs dans le monde entier. Et tandis que les autres journaux écrivent pour des lecteurs peu informés de la grande politique, le Journal de Genève s'adresse aux gens mêmes qui la font." 20

Plusieurs difficultés surgissent lorsque l'on tente d'évaluer l'image du national-socialisme que donne le Journal de Genève. En premier lieu celui-ci se veut un journal d'information, plus qu'un journal d'opinion, diffusant des faits bien établis et des analyses lucides plutôt qu'une doctrine toute faite ; par conséquent les articles dogmatiques sont très rares, et il faut donc se fonder sur le choix des informations publiées ainsi que sur la manière de les présenter. Même les éditoriaux présentent souvent des points de vue nuancés, où seuls quelques passages trahissent l'opinion du rédacteur qu'il faut tenter de reconstituer. Une autre conséquence de cette importance donnée à l'information est l'évolution des opinions exprimées au fur et à mesure que l'actualité se déroule (ce qui n'est pas le cas de certains périodiques particulièrement doctrinaires, dont le contenu ne varie presque pas).

En deuxième lieu, et ceci est propre au Journal de Genève, les rédacteurs jouissent d'une grande marge de manoeuvre par rapport à tous les autres journaux ; il n'est donc pas rare de voir, dans le même numéro ou à quelques jours d'intervalle, des opinions sensiblement différentes s'exprimer. Et ce d'autant plus que de temps à autres des personnes extérieures à la rédaction sont sollicitées par le Journal de Genève. Moins que jamais on ne peut donc parler de l'opinion du journal face à tel ou tel événement: il faut parler de l'opinion de celui qui a signé l'article. Par exemple, si Théodore Vaucher, qui est le correspondant à Rome du Journal, est philofasciste comme cela a déjà été dit 21, William Martin ne l'est pas du tout, ce qui suscitera des tensions au sein de la rédaction et finalement son départ 22. D'autre part certains rédacteurs reviennent régulièrement sur certains thèmes: Jean Martin est très attaché aux valeurs incarnées par la Société des Nations alors que le correspondant du Journal de Genève à Paris, qui signe P. B. 23, dénonce systématiquement les complots réels ou supposés de la gauche française, trahissant un anti-gauchisme assez primaire. De manière générale mais plus encore dans ce cas particulier, il nous semble donc important de ne pas traiter les journaux comme des personnes, même pour des journaux qui n'expriment que des points de vue similaires, de leur attribuer des opinions et des pensées: ce sont toujours des hommes qui sont derrière les articles et il est probable que les lecteurs sont attentifs aux initiales ou au nom qui figure en bas de l'article.

Nous allons maintenant voir comment fut traité le national-socialisme dans le Journal de Genève. Pour cela nous regarderons d'abord, suivant un déroulement chronologique, les premiers mois du cabinet Hitler ; nous survolerons ensuite, en indiquant les points forts, la période qui va d'avril 1933 à juin 1934, puis nous regarderons plus en détail les événements de juillet et d'août 1934. Après quoi nous développerons certains thèmes qui ne se prêtent pas à une approche chronologique ou qui sont connexes à notre sujet sans en faire partie intégrante. Ce sera l'occasion de faire la synthèse sur les opinions émises par le truchement du Journal de Genève.

Voyons à présent comment le Journal de Genève a relaté l'accession de Hitler à la Chancellerie; d'abord, il convient de noter qu'avant le 30 janvier le Journal de Genève publie à plusieurs reprises des dépêches d'agences ou de courts articles concernant l'Allemagne. Ainsi l'entrevue Hitler- von Papen à Cologne, prélude à leur alliance, est relatée (6 janvier) et commentée (8, 10 et 11 janvier); de même les divergences chez les nazis (9 janvier), c'est-à-dire les tensions entre l'aile gauche (Gregor Strasser) et l'aile droite (Hitler, Goering) qui ont failli faire éclater le NSDAP au début de l'année, ou les bagarres entre nazis et communistes (12 et 17 janvier). Le 13 janvier le Journal de Genève publie un article de son correspondant en Allemagne, qui signe E.K., où celui-ci déplore qu'en Allemagne tout soit vu à travers les lunettes de la politique:

La politique s'empare de tout: on commence d'en faire à l'école primaire; il y a la jeunesse d'Hitler, celle de Bismarck, la jeunesse du front rouge. Ces gosses défilent dans les rues, crient la louange ou l'insulte selon les commandements qu'ils reçoivent. Ils grandissent dans l'excitation, manient des revolvers, des poignards et des matraques.

Les lecteurs du Journal de Genève sont donc bien informés des développements de la politique intérieure allemande. Le 31 janvier*, William Martin écrit un éditorial sur La chute du général de Schleicher. Il y constate l'impossibilité de gouverner l'Allemagne, quand il n'y a pas de majorité parlementaire et que le président refuse des pouvoirs étendus à ses chanceliers - ce en quoi William Martin l'admire :

On doit s'incliner avec respect devant la haute conscience du maréchal von Hindenburg. Pénétré de l'idée qu'il va bientôt se présenter devant son Juge, il se refuse à tout acte que sa conscience réprouve. Violer le serment qu'il a prêté à la Constitution est au-dessus des forces de ce vieillard, profondément croyant et élevé dans les traditions d'honneur de l'ancienne Allemagne.

Quant au successeur de von Schleicher, qu'il ne connaît pas encore, William Martin pense que ce sera von Papen qui prendra sa place avec Hitler pour vice-chancelier. En tous cas il reste plutôt pessimiste sur l'avenir de l'Allemagne :

Nous nous garderons bien de dire comment l'Allemagne sortira de cette situation, car nous ne le savons pas. Elle pourrait en sortir, si ses partis étaient raisonnables, mais ils ne l'ont guère été jusqu'ici. Et s'ils continuent à se conduire comme par le passé, aucune solution constitutionnelle du conflit ne semble devoir être solide et durable."

Le 30 janvier 1933, le président Hindenburg nomme Hitler, qui dirige le plus important parti politique d'Allemagne, le NSDAP, chancelier du Reich; il prend la place du général von Schleicher, qui, comme ses prédécesseurs, était incapable de s'appuyer sur une majorité stable au parlement allemand, le Reichstag. Hitler est nommé chancelier, c'est-à-dire chef du gouvernement, mais son cabinet ne compte que trois membres de son parti: Göring, Frick et lui-même. De plus Hindenburg lui imposé von Papen au poste de vice-chancelier ; dans ces conditions, le pouvoir de Hitler semble étroitement contrôlé.

Dans le Journal de Genève, le premier commentaire sur l'avènement d'Hitler est publié le 1er février, mais cet article, non signé, ne fait que relater les réactions provoquées à Londres. Ce ne sont pas des réactions de panique, loin de là: Hitler n'a pas la dimension nécessaire pour sortir l'Allemagne du gouffre:

Normalement, Hitler semble incapable de demeurer à son poste de chancelier plus que quelques semaines. Il sera inévitablement victime des mêmes manoeuvres que celles qu'il a menées contre Brüning, von Papen et von Schleicher. Son entente actuelle avec von Papen et avec Hugenberg ne peut pas durer. Mais quel mal fera-t-il avant de s'en aller ? et s'il refuse de quitter le pouvoir, comment l'en délogera-t-on ? Quelles surprises réserve-t-il dans le domaine international ?

Les réponses à ces trois questions, que nous connaissons maintenant, auraient sans doute bien surpris ce correspondant à Londres.

Le 3 février le Journal de Genève publie un article de son correspondant en Allemagne, E.K., où celui-ci constate que pour Hitler l'avènement au poste de chancelier n'est qu'un demi-succès ; en effet, Hitler ne bénéficie pas du pouvoir absolu, loin de là même puisque son parti reste minoritaire au sein du nouveau cabinet. Or Hitler et Hugenberg seront probablement amenés à s'affronter du fait que leurs bases sociales respectives sont opposées, le premier étant plus proche des ouvriers et le second plus proche des patrons. Toutefois E.K. pense que le cabinet Hitler bénéficie de certains avantages par rapport aux cabinets précédents :

Le cabinet Hitler bénéficie donc de conditions plus favorables que ses prédécesseurs immédiats : ceux de MM. von Papen et von Schleicher. Il lui sera loisible de gouverner avec le parlement, et il aura un certain laps de temps devant lui. La difficulté réside en lui-même : c'est seulement s'il réussit à vaincre les oppositions d'ordre interne que l'on peut attendre un travail utile du cabinet qui porte le nom d'Adolph Hitler.

Le 5 février, le Journal de Genève publie un long article de Wladimir d'Ormesson, qui collabore depuis peu au quotidien 24. Ce journaliste d'abord que la position d'Hitler est bien faible au milieu d'un cabinet de barons. De plus il pense qu'Hitler, au pouvoir, sera bien obligé de mettre de l'eau dans son vin. Ensuite Wladimir d'Ormesson analyse la situation de chacun des protagonistes de ce nouveau cabinet : les problèmes financiers du parti national-socialiste, les tendances réactionnaires et favorables au grand capital de Hugenberg, et enfin l'aspiration profonde de von Papen à restaurer les Hohenzollern. Une restauration qui semble fort probable aux yeux du journaliste :

Dans quelques mois il ne restera plus que l'éventualité d'une restauration pour entretenir l'éternel besoin d'illusion des masses allemandes. Au point où en sont les choses, l'issue logique de la situation, malgré les difficultés que cela soulève, - notamment du point de vue fédéral - c'est la restauration. Une restauration qui se présentera comme un arbitrage suprême entre les factions et qui ne craindra pas, pour les besoins momentanés de la cause, de prendre des allures démocratiques, voire socialisantes. Il est vrai qu'en politique, la vie et la logique font deux...

Il existe tout de même une inconnue, pouvant tout remettre en cause : ce sont les élections du 5 mars :

Reste à savoir, en effet, quelles modifications feront subir à ces positions de départ les conséquences de la coalition Hitler-Papen-Hugenberg. Car si le national-socialisme regagne le 5 mars le terrain perdu, Hitler continuera-t-il à gouverner avec des tuteurs aussi compromettants ? Et s'il les congédie, tout ne sera-t-il pas remis en question ? MM. von Papen et Hugenberg ont peut-être été très habiles en escamotant le mouvement hitlérien à leur profit. Mais ils ont peut-être été aussi très imprudents.

Après ces commentaires à chaud de l'événement, le nombre d'articles concernant l'Allemagne décroît légèrement. Ce qui retient l'attention des journalistes du Journal de Genève, c'est avant tout les menaces que font peser sur la paix européenne les positions des nationaux-socialistes en matière de politique extérieure. Mais ce qui inquiète, ce n'est pas tant le désir de réviser les traités signés à la fin de la Grande guerre et le désir d'avoir le droit aux mêmes armements que les anciens Alliés (Gleichberechtigung); en effet, à cet égard comme à bien d'autres, le Journal de Genève semble plus près des positions anglaises que françaises, c'est-à-dire qu'il est à favorable à une paix européenne fondée sur le principe de la limitation des armements, celle-ci devant amener la sécurité puisqu'il n'y a plus d'armes pour faire la guerre. En ce sens les prétentions allemandes semblent légitimes au regard de l'intransigeance française en matière de désarmement 25. Par contre, de manière générale, les journalistes du Journal de Genève s'inquiètent du fait que les nationaux-socialistes clament haut et fort leur volonté de prendre leur revanche sur l'ennemi héréditaire, la France; c'est cela qui leur apparaît comme un danger, ajouté au fait qu'Hitler leur semble être un dangereux aventurier qui détonne dans les hautes sphères de la diplomatie.

En revanche la chasse aux communistes et aux socialistes engagée par le nouveau cabinet, particulièrement après l'incendie du Reichstag (27 février), provoque assez peu de commentaires ; mais il est clair que la majorité des rédacteurs, pour ne pas dire tous, restent très circonspects face aux actes du nouveau gouvernement, qu'ils désapprouvent sur la forme si non toujours sur le fond.

Le 25 mars, Jean Martin, qui a succédé à William Martin à la tête de la rédaction, rédige l'éditorial, intitulé L'heure de M. Hitler. Ce qui domine, dans cet article, c'est l'affirmation que les principes sur lesquels est fondée la Société des Nations doivent absolument être maintenus. Déjà le 17 février, dans un éditorial dont le titre était Un fait nouveau dans l'histoire, Jean Martin avait salué la résolution de la Société des Nations condamnant l'intervention japonaise en Mandchourie. Cet attachement à la Société des Nations est d'ailleurs une constante au Journal de Genève ; c'est sans aucun doute le périodique le plus attaché à cette institution, déjà fort critiquée dans les milieux d'extrême droite et qui laisse la gauche dans une certaine indifférence.

Ce qu'il faut éviter, selon Jean Martin, c'est la dictature de quelques grands pays, qui décideraient pour tous les autres :

Mais - car il y a un mais - cette entente éventuelle [le Pacte à Quatre] doit être dépourvue de tout caractère dictatorial. Leur accord, s'il s'établit, doit respecter les normes du Pacte qu'ils ont signé. Et leur action ne peut s'étendre hors de leurs frontières. S'ils ont le droit de disposer d'eux-mêmes, ils n'ont pas le droit de disposer des autres. La Société des nations a changé le cours des choses humaines en donnant aux petits Etats voix au chapitre sur les destinées du monde, et sur leur propre destinée. La puissance morale de l'opinion universelle a acquis droit de cité dans la vie des nations. Y renoncer pour accepter la dictature d'un groupe d'Etats, ce serait une régression telle que tous les espoirs en une organisation meilleure de l'humanité s'évanouiraient.

On le voit, des espoirs quasiment messianiques sont placés dans la Société des Nations.

D'autre part, Jean Martin s'inquiète de la situation en Allemagne. D'abord sa politique intérieure, qui est l'exemple à ne pas suivre:

Nous avons dit ouvertement, sans réticences, ce que nous pensions de sa politique intérieure, et affirmé notre conviction profonde que les persécutions pour cause de race, contre les Juifs, ou d'idées politiques, contre les hommes de gauche, sèment des germes de discorde et de violence dont la nation toute entière risque d'avoir à souffrir.

Ensuite, la position de l'Allemagne en matière de politique extérieure apparaît peu claire ; le chancelier souffle le chaud et le froid. Jean Martin voudrait croire qu'Hitler est sincère quand il dit ne désirer que la paix, mais on sent bien qu'il doute :

L'heure de M. Hitler a sonné au cadran de l'histoire. L'Allemagne a un grand rôle à jouer dans l'humanité. Facteur de paix dans l'Europe, comme l'a déclaré son chef, elle retrouverait dans le monde le prestige qui s'attache à ses plus nobles traditions. Facteur de troubles et d'agitations, comme on a pu le croire à l'ouïe de certains discours de la période électorale, elle dresserait contre elle tous ceux qui, malgré vents et marées, croient au progrès possible de l'humanité.

On sent également chez Jean Martin, et pas seulement dans cet article, la croyance presque utopique en un monde débarrassé de tous les conflits grâce à la sagesse des hommes. Il est bien possible qu'il faille lier cette espérance à un certain humanisme protestant, par ailleurs bien présent dans le Journal de Genève, qui est proche du patriciat genevois.

Il reste encore à parler, pour ce début d'année 1933, de l'attitude du Journal de Genève face aux persécutions menées contre les juifs par le gouvernement national-socialiste 26. Dans la presse en général, l'attention a été portée sur ce problème surtout à l'occasion du boycott national du 1er avril décrété par les nationaux-socialistes. Pourtant, dans le Journal de Genève, ce boycott n'a donné lieu qu'à un seul article rédactionnel, celui de P.J. le 31 mars 1933, intitulé Nazis contre juifs. Et encore ce journaliste se contente-t-il d'une désapprobation assez molle, l'essentiel de son article tournant autour du problème posé par la fiabilité des informations provenant d'une dictature, et comparant dans cette optique l'Allemagne avec la Russie, la Yougoslavie et l'Italie :

Rien n'est plus difficile que de connaître exactement la situation des citoyens d'un pays soumis à une dictature. Le nouveau régime est à peine établi que les bruits les plus contradictoires courent et sur l'action des oppresseurs, et sur le sort des opprimés. Que sait-on exactement sur ce qui ce passe en Russie, en Yougoslavie, en Italie ? Connaît-on tous ceux qui sont aujourd'hui déportés ? Sait-on les raisons pour lesquelles ils sont privés de toute liberté ?
Il est donc aujourd'hui aussi difficile de savoir ce qui se passe en Allemagne, de savoir en quoi consiste exactement l'action des nazis contre les Juifs, qu'il était et qu'il est encore de se renseigner sur la position exacte des démocrates en Russie, en Italie, en Yougoslavie ou dans tout autre pays gouverné par une dictature.

En ce début d'année 1933, le Journal de Genève accorde donc une place importante à l'Allemagne, dans ses éditoriaux mais aussi en dernière page, qui est consacrée au dernières nouvelles et qui consiste essentiellement en dépêches d'agences. Cela surtout pendant les mois de février et mars, au fur et à mesure que les nationaux-socialistes étendent leur pouvoir et établissent une dictature qui semble devoir s'inscrire dans la durée. Après cette période les informations sur l'Allemagne deviennent moins régulières. Il faudra attendre le retrait de l'Allemagne de la Conférence sur le désarmement pour qu'elle fasse à nouveau la une du Journal de Genève.

En effet, à la mi-octobre 1933, l'Allemagne se retire de la Conférence pour le désarmement puis de la Société des Nations. L'impression qui prédomine à la lecture du Journal de Genève, c'est une condamnation de l'attitude allemande, par P.-E. Briquet surtout qui rédige les éditoriaux relatifs à ce sujet (15, 18, 20 et 22 octobre), et également par Wladimir d'Ormesson qui écrit un article sur L'Allemagne solitaire (21 octobre). P.-E. Briquet parle de la politique du coup de poing et d'une manoeuvre de chantage , mais cela ne lui paraît pas si grave dans la mesure où :

En se condamnant à l'isolement l'Allemagne s'est condamnée à l'impuissance, car elle a cimenté l'accord des autres. C'est pourquoi la situation, qui pourrait être grave, ne l'est pas: on comprend à Londres et à Rome que de cet accord dépendent le désarmement et la sécurité de l'Europe. (Editorial, 22 octobre 1933)

D'autre part il est également question de l'Allemagne à propos du procès sur l'incendie du Reichstag; à au moins sept reprises le Journal de Genève publie environ une colonne de compte-rendu 27. Toutefois cela ne fait l'objet d'aucun éditorial: il est possible que cet intérêt ne soit qu'une incidence des remous provoqués en politique internationale. Quoi qu'il en soit, dès la fin octobre il n'est déjà plus beaucoup question de l'Allemagne ; en effet son retrait de la Société des Nations n'a pas de conséquences immédiates, et de plus le canton de Genève entre en période électorale pour le renouvellement du Grand Conseil et du Conseil d'Etat. Fleurissent alors les articles généralement dirigés contre le marxisme ; évidemment le journal ouvre ses colonnes aux candidats du Parti démocrate, à l'exclusion de tous les autres. Le 26 octobre c'est Edouard Chapuisat qui s'exprime dans un article intitulé Ce que disent nos candidats. Marx ou la paix ?. Cela montre bien les liens existant entre le Parti démocrate et le Journal de Genève, Edouard Chapuisat ayant d'ailleurs été directeur de la rédaction jusqu'en 1932.

De manière assez anecdotique, il est encore question de l'Allemagne dans la rubrique musicale du 1er novembre 1933, tenue par Henri Gagnebin (le directeur du Conservatoire de musique de Genève), intitulée De la situation musicale en Allemagne. Commentant la décision du ministère de Goebbels d'exclure les musiciens juifs des orchestres en Allemagne, il écrit :

L'Allemagne hitlérienne a donné un rude coup de balai dans l'internationale de la musique. (page 4)

C'est la seule trace d'antisémitisme que nous ayons trouvée dans le Journal de Genève.

On constate, au printemps 1934, que c'est encore l'optimisme qui domine relativement à la sécurité européenne. Le 10 avril 1934, P.-E. Briquet rédige un article intitulé " Vers la reprise ", où il fait part de son optimisme concernant les négociations sur le désarmement qui doivent reprendre à Genève. Il semble bien qu'il ait pris ses désirs pour des réalités ; en tous cas, une semaine plus tard, la Conférence pour le Désarmement sera définitivement enterrée avec la note française du 17 avril 28.

Le 21 juin*, c'est le discours de Marburg du vice-chancelier du Reich, von Papen, qui fait l'objet d'un éditorial rédigé par Jean Martin. Celui-ci pense que " La véritable Allemagne se réveille. " : même si cela ne signifie pas la fin de l'hitlérisme, c'est à son avis la manifestation d'une forte opposition au régime :

Pour qu'il ait osé prononcer son sensationnel discours de Marburg, il faut qu'il se soit senti soutenu par un courant très puissant."

On sent nettement que Jean Martin n'est pas favorable au régime hitlérien et qu'il se réjouit de la naissance d'une opposition de droite.

Autre indice de la désapprobation de certains rédacteurs du Journal de Genève, l'article de P.-E. Briquet du 28 juin 1934, Nazisme et protestantisme. Alors que de manière très générale P.-E. Briquet s'occupe de politique étrangère, il s'intéresse pour une fois à la politique religieuse pratiquée en Allemagne. Il déplore la mainmise de l'Etat nazi,totalitaire, sur les Eglises protestantes (il n'est pas question des catholiques) et il réfute le racisme comme étant contraire aux principes du christianisme. Il reviendra sur le sujet le 29 septembre 1934 (Dangereuse intolérance), dénonçant toutes les doctrines de l'Etat qui sont une foi, une croyance : bolchevisme, nazisme et fascisme.

Le 30 juin 1934 a lieu en Allemagne la Nuit des longs couteaux, pendant laquelle Hitler frappe à sa gauche et à sa droite. Il semble bien qu'il ait agit sous la pression de l'armée, ou en tous cas pour plaire à celle-ci, car elle voyait d'un mauvais oeil une formation politique, les S.A., concurrencer sa force militaire. D'autre part bien des membres des S.A. étaient notoirement à gauche, et souhaitaient voir la révolution nationale se poursuivre avec une révolution sociale ; cependant on était encore loin de la préparation d'un complot contre Hitler. Mais la conséquence la plus importante de la Nuit des longs couteaux semble bien avoir été l'expansion de la S.S., qui se situait à la droite du mouvement national-socialiste ; or, comme nous le verrons, sur le moment cela semble avoir échappé à tous les observateurs. Selon Charles Bloch :

L'armée sortit donc renforcée du drame du 30 juin 1934 pour perdre ensuite les fruits de sa victoire. Son triomphe, bien que plus spectaculaire, fut moins durable que celui du grand capital. Ceci est partiellement dû au fait qu'une certaine rivalité se développa par la suite entre elle et les S.S. Pour ces dernières, la purge sanglante des S.A. marque en effet le début de leur chemin vers le pouvoir suprême. Peu après, elles reçurent leur récompense pour le rôle qu'elles avaient tenu lors du massacre: le 20 juillet 1934, Hitler les détacha des S.A., dont elles avaient officiellement fait partie jusque-là, et les promus au rang d'une formation autonome au sein du parti national-socialiste. Elles devaient rapidement devenir sa plus puissante organisation." 29

Dans tous les quotidiens ces événements provoquent une avalanche de dépêches qui font part des dernières déclarations allemandes ainsi que des rumeurs, généralement fantaisistes, circulant dans les capitales européennes. Le Journal de Genève n'échappe pas à la règle et pendant quatre jours la page consacrée aux dernières nouvelles est remplie de ces dépêches.

Mais ces événements donnent également lieu à des éditoriaux, six au total, dont quatre de P.-E. Briquet. Dès le 2 juillet*, comme beaucoup d'observateurs, il insiste sur les difficultés économiques, et donc sociales et politiques, que connaît le Reich depuis le début de l'année. Les événements du 30 juin seraient pour lui une conséquence directe de ces difficultés qui auraient provoqué un regain d'opposition à gauche comme à droite. D'autre part il ne met pas en doute l'existence d'un complot visant à la restauration impériale :

Le complot fut ourdi entre le général von Schleicher et le capitaine Roehm, chef des S.A. Ils correspondaient par des intermédiaires. De quoi s'agissait-il ? De rétablir en Allemagne l'Empire des Hohenzollern ? Probablement. Or, M. von Papen, on le sait, ne fait pas mystère de ses sympathies monarchistes. Le président Hindenburg incline peut-être aussi dans la même direction. Et il est certain que la monarchie, qui reste aux yeux des masses, non l'auteur, mais la victime de la grande guerre, conserve le prestige d'une grandeur évanouie et d'une prospérité sans égale. La monarchie n'est nullement exclue en Allemagne.

P.-E. Briquet conserve néanmoins un petit doute sur les motivations qui auraient pu poussé Roehm dans le camp des monarchistes, mais cela ne l'arrête pas.

Le lendemain P.-E. Briquet rédige à nouveau un éditorial, intitulé Hitler et Roehm, consacré à ces événements. L'existence de l'alliance entre Roehm et von Schleicher n'est toujours pas mise en doute ; par contre il trouve particulièrement choquante l'exécution sans jugement de Roehm. Enfin, la propagande nazi ayant parlé de collusion avec une puissance étrangère, P.-E. Briquet pense qu'il pourrait s'agir de la Yougoslavie, où Roehm avait récemment passé plusieurs semaines. Il est intéressant de voir qu'il ne désigne pas l'URSS, comme beaucoup de commentateurs.

Le 7 juillet 1934, P.-E. Briquet écrit à nouveau l'éditorial, Hypothèses et pharisaïsme, dans lequel il donne son interprétation sur ce qui s'est passé en Allemagne. Il réfute l'hypothèse de la décapitation de la S.A. par Hitler pour plaire à la Reichswehr ; de même il ne pense pas, comme Otto Strasser, que Hitler ait voulu remplacer Goering par Gregor Strasser mais conjecture que celui-là, averti par sa police, aurait frappé le premier et pris l'ascendant sur Hitler. En fait, pour le rédacteur du Journal de Genève :

L'explication la plus simple, la plus logique, n'est-elle pas qu'il y a eu complot de la part des S.A., que Roehm, pur militaire, voulait effectivement le pouvoir pour ses troupes et pour lui-même, qu'il lui fallait la soumission de la Reichswehr, que l'autorité de Hitler lui pesait (on le sait pertinemment), et qu'il décida de se substituer à l'idole d'antan? Sans doute eut-il fait bon marché du Führer abattu, et l'aurait-il sommairement passé par les armes.

Après cela P.-E. Briquet passe au pharisaïsme, auquel il consacre ses trois derniers paragraphes. De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'une sévère critique du Times, qui selon lui condamne les moeurs politiques allemandes un peu facilement alors qu'il se tait sur d'autres sujets. En clair :

Le Times s'indigne-t-il de même de ce qui se passe aujourd'hui en U.R.S.S. ? S'étonne-t-il que dans notre Europe on puisse compter les voix qui protestent contre l'extermination, par la famine, par l'exil, dans le nord meurtrier, par le fer et par le feu, d'une nation européenne, de langue parent à la nôtre, de race blanche, de religion chrétienne, de trente-cinq millions d'individus, la nation ukrainienne ? S'étonne-t-il que les représentants des bourreaux de cette nation soient invités et reçus avec égards aux manoeuvres de l'aviation britannique ? Ne se prépare-t-il pas en soutenant la candidature soviétique à la Société des Nations, à river la chaîne de l'Ukraine, ou plutôt de sceller sa tombe ?

Cette attaque contre le Times, outre qu'elle détourne l'attention de ce qui se passe en Allemagne, est à mettre en rapport avec le débat sur la candidature de l'URSS à la Société des Nations (elle y entrera le 16 septembre suivant). Un sujet sur lequel P.-E. Briquet et Jean Martin éditent un petit livre, publié par les éditions du Journal de Genève 30 ; en fait cet ouvrage reprend une vingtaine d'éditoriaux qu'ils ont écrits pour le Journal de Genève entre août 1933 et septembre 1934.

Le denier éditorial de P.-E. Briquet sur la Nuit des longs couteaux, le 15 juillet, à la suite du discours du chancelier du 13 juillet, n'apporte pas grand-chose de plus ; il croit toujours au complot ourdi de concert par Roehm et von Schleicher, et persiste à penser que l'opposition de droite (monarchistes, Reichswehr, entourage de von Papen et d'Hindenburg) se renforce. Il conclut :

Tout ceci confirme que la Reichswehr est en fait maîtresse de l'Allemagne. Le Führer privé de ses S.A., est maintenant obligé de compter avec les Hohenzollern, qui ont les sympathies secrètes du vieux maréchal. Au soleil d'Hitler grandit leur ombre silencieuse.

D'ailleurs le 4 et le 18 août il le redira de manière encore plus explicite :

Depuis le 30 juin, le véritable pouvoir est entre les mains de la Reichswehr. Celle-ci [la réalité du pouvoir] résidera, avant comme après, dans la puissance de la Reichswehr, juge sans appel des querelles mystérieuses grondant aux obscures coulisses du nazisme.

Le 12 juillet*, l'éditorial est écrit par Théodore Vaucher, le correspondant à Rome du Journal de Genève. Comme nous l'avons déjà dit, ses opinions philofascistes ont déjà été soulignées. Cet éditorial ne fait que confirmer ce point de vue puisque son article est en grande partie un éloge du Duce, face auquel le Führer fait piètre figure.

A peine les événements du 30 juin retombés dans le silence, un autre événement va défrayer les journaux : le meurtre du chancelier Dollfuss lors d'une tentative de coup d'Etat par les nationaux-socialistes autrichiens. Le 27 juillet 1934*, le Journal de Genève consacre toute sa première page à cette affaire, sous le titre générique : La tragédie viennoise. Encore une fois, c'est P.-E. Briquet qui rédige l'éditorial, qui commence ainsi :

L'Autriche est aujourd'hui en deuil. Elle a perdu l'un de ses enfants les plus dignes d'admiration, celui qui a su élever son pays ruiné par la guerre et humilié par la paix, à la hauteur d'une grande mission.

Suit une description des circonstances du meurtre ainsi qu'une dénonciation sans appel des nazis autrichiens et du gouvernement allemand (dont la responsabilité, bien que non avérée, n'a pas fait l'ombre d'un doute dans l'esprit des observateurs).

C'est plus qu'un crime, c'est une maladresse insigne. L'affaire d'Autriche a isolé l'Allemagne, a contribué plus que tout à compromettre la situation du Reich en Europe. Comment ses dirigeants n'ont-ils pas vu qu'ils allaient soulever contre eux l'indignation de l'Europe entière ? Ont-ils perdu, après le 30 juin, le sens de leurs propres intérêts ?

Cela mis à part, les réactions face à cet attentat sont peu nombreuses, et bien que la page Dernière nouvelles ait à nouveau été submergée de dépêches, l'affaire s'écrase assez vite, bien plus vite en tous cas que la Nuit des longs couteaux.

Reste encore le dernier grand événement de l'été concernant l'Allemagne : la mort du président Hindenburg, aussitôt remplacé par Hitler. Ce remplacement, à la tête de l'Etat et donc à la tête de l'armée, n'est d'abord qu'intérimaire puisqu'il reste soumis à l'approbation du peuple, qui aura lieu le 19 août.

Sous le titre Président et chancelier, le 4 août 1934*, P.-E. Briquet rédige l'éditorial consacré à la succession du maréchal Hindenburg. Son article commence par cette phrase quelque peu surprenante :

La disparition du président Hindenburg posait à l'Allemagne et à l'Europe un problème d'une gravité extrême. De la solution adoptée à Berlin dépendait la restauration des Hohenzollern, l'affermissement du pouvoir nazi ou au contraire son ébranlement et peut-être sa chute, avec tous les inquiétants aléas d'aventures d'extrême gauche ou d'extrême droite.

Cela semble vouloir dire que le nazisme n'est pas une inquiétante aventure d'extrême droite ou d'extrême gauche, mais qu'il se situe entre ces deux tendances. Dans tous les cas, ce qui semblait à craindre selon P.-E. Briquet, c'était la restauration impériale, à laquelle toute autre issue est préférable. Cette sorte de hantise est peut-être justifiée par le fait qu'il ne semble pas avoir compris à quel point le mouvement national-socialiste est hostile aux Hohenzollern. Comment expliquer autrement cette phrase :

Les éléments groupés sous la croix gammée sont loin d'être tous fidèles à l'ancienne maison impériale.?

C'est en effet le moins que l'on puisse dire, car la grande majorité y était opposée.

Enfin, pour conclure cette analyse du Journal de Genève, signalons une série d'articles d'Albert Béguin 31, qui écrit ses Impressions d'Allemagne ; il décrit notamment la vie dans les camps de travail. Il pense que l'on pourrait voir des aspects positifs dans ces camps, qui ont permis d'occuper les oisifs et les chômeurs généralement ralliés au communisme, si la rééducation était faite dans la bonne direction. Mais à son avis, tel n'est pas le cas, et de loin : les détenus sont coupés de la vie civile, ils n'apprennent aucun métier et ils sont abrutis par la propagande qui les dépouille de leur individu et les fond dans une masse homogène. De plus ces méthodes ne semblent pas efficaces pour éradiquer les restes de communisme qui demeurent chez certains ouvriers. Au total, les camps de travail sont décrits comme une entreprise qui va dans le mauvais sens.

Essayons maintenant, au-delà de l'analyse, de synthétiser un peu. En premier lieu, on peut constater, et cela n'est pas valable seulement pour l'Allemagne mais également pour les autres pays, que le Journal de Genève traite avant tout de la politique extérieure des Etats. Dans un premier temps, ce qui préoccupe en priorité les rédacteurs, c'est de savoir quelles seront les conséquences de ce changement de régime en Allemagne sur la paix en Europe. Hitler va-t-il réarmer ? Quelle serait alors l'attitude de la France ? Et la Grande-Bretagne ? Les pays de la Petite-Entente vont-ils à nouveau faire les frais de la politique des grands ? Quelle attitude adopter face à la remilitarisation de l'Allemagne ? Sur ce dernier point, il semble que la majorité des rédacteurs du journal aient été plus anglophiles que francophiles, c'est-à-dire plus proches de l'appeasment anglais que du sécurité d'abord des Français.

En revanche les conséquences sur la société allemande - disparition graduelle mais inéluctable du pluralisme politique, persécutions raciales et religieuses, instauration progressive du totalitarisme, camps de concentration - sont plutôt négligées. Elles n'apparaissent que de manière épisodique, mais il ne nous semble pas que cela cache une approbation voilée, comme c'est le cas à l'extrême droite. Nous pensons plutôt qu'il s'agit d'un désintérêt général pour la politique intérieure des autres Etats, et même, dans une certaine mesure, pour la politique intérieure tout court puisque la politique suisse et genevoise suscitent assez peu de commentaires.

Cette focalisation sur les problèmes internationaux a sans doute plusieurs raisons. D'abord, comme nous l'avons vu, le Journal de Genève se destine à ceux qui font de la grande politique, c'est-à-dire à un niveau international. C'est donc une tradition bien établie que de s'occuper des affaires du monde, de la haute diplomatie, un milieu dans lequel certains rédacteurs sont d'ailleurs assez bien introduits. Ce d'autant plus que Genève est devenu un centre diplomatique de premier ordre. Ensuite, cette importance donnée à la politique internationale a probablement aussi sa source dans le regain de tensions que l'on peut observer entre les différentes puissances mondiales, et que la conférence sur le désarmement, pas plus que la Société des Nations de manière générale, ne semble pouvoir résoudre. En effet les années trente accusent un net retour à la politique des alliances au détriment des accords multilatéraux. Nous pensons, entre beaucoup d'autres, au traité de non agression entre l'URSS et la France (29 novembre 1932), au Pacte à Quatre (7 juin 1933), au pacte de non-agression entre l'Allemagne et la Pologne (26 janvier 1934), etc.

On peut encore évoquer au passage Vouloir, Revue mensuelle d'action politique et sociale , puis, à partir de juin 1934, Journal mensuel d'études politiques et sociales, qui est l'organe officiel de la Jeunesse démocratique de Genève. On constate que les jeunes démocrates sont sensiblement plus à droite que leurs aînés ; ils parlent beaucoup de la corporation, toujours en bien, ils se déclarent proches des jeunesses de l'Union Nationale et du Parti indépendant et chrétien-social, et ils ne dissimulent pas une admiration certaine pour Mussolini. Ainsi Henri Werner, en juin 1934, qui conclut un article sur l'Italie de la manière suivante :

Puissent l'élan vital donné par le fascisme ne jamais se perdre et les meilleurs enseignements du Régime qui sont l'ordre, la discipline et le travail, pénétrer comme des vérités nécessaires au coeur des vieilles populations latines.

2.1.2 : Le Genevois et Le Peuple Genevois, organes radicaux

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Le Genevois est un bi-hebdomadaire, fondé en 1875 par Georges Favon, la deuxième grande figure du radicalisme genevois après James Fazy. Le Genevois est donc l'organe du Parti radical dès son origine ; les articles sont très rarement signés. Le Peuple Genevois est un également un organe radical, il a été fondé en 1907 et a une parution hebdomadaire. Jusqu'au 9 septembre 1933, son sous-titre indique qu'il est radical-socialiste, date à partir de laquelle il devient radical-progressiste. Pour la période qui nous concerne son rédacteur en chef est Valentin Grandjean ; André Guinand, qui sera président du Parti radical genevois en 1938 et 1943, et Conseiller national de 1943 à 1963, collabore régulièrement au journal. Les articles sont assez souvent signés, mais fréquemment avec des pseudonymes. Il nous a semblé que les deux journaux pouvaient être traités ensemble car leurs positions, pour ce qui concerne notre sujet, sont très proches, même si Le Peuple Genevois se veut d'une tendance plus à gauche 32.

Le Parti radical est un parti centriste, dans la mesure où il est le parti le plus à gauche de la droite. Depuis 1897, et jusqu'en 1927, il est allié électoralement aux socialistes, puis il se rapproche de la droite, en fait surtout du Parti démocrate car, nous le verrons, sur bien des thèmes il est fort éloigné de l'Union Nationale et du Parti indépendant et chrétien-social. Le Parti radical est donc assis entre deux chaises, donnant des coups autant à droite qu'à gauche.

Dans un premier temps, les réactions face au nouveau gouvernement allemand sont plutôt rares. Il est vrai qu'autant Le Genevois que Le Peuple Genevois se préoccupent avant tout de politique cantonale et nationale. Toutefois, dans Le Peuple Genevois du 4 février 1933, André Guinand écrit :

"Malgré tout notre attachement au principe de la démocratie parlementaire, il faut reconnaître que dans les circonstances actuelles il faut avant tout un gouvernement fort capable de prendre des engagements et de les tenir, susceptible aussi de se décider promptement. L'Allemagne marche dans cette voie avec Hitler, mais sera-t-il l'homme à tenir en laisse les factions politiques?"

L'avènement d'Hitler semble donc porteur d'espoir. Mais cette déclaration ne doit pas être mal interprétée, et en cela l'éditorial du même André Guinand, toujours dans Le Peuple Genevois, le 18 mars 1933, clarifie bien les choses. A son avis la dictature peut être une bonne chose, mais pour les autres pays ; en Suisse elle n'est pas souhaitable, même si un pouvoir plus fort l'est, même si le parlementarisme doit être combattu :

Qu'on le veuille ou non, il faut, dans une période économique troublée comme la nôtre, de l'ordre, de l'énergie et des moyens d'exécution rapides. La nation qui ne veut pas comprendre cela, meurt. Mais tout cela est-il incompatible avec la démocratie ? Certes, en tout cas dans un petit peuple comme la Suisse. Le régime qui a existé pendant des siècles n'a aucune raison de disparaître chez nous. C'est pourquoi nous disons catégoriquement que le salut n'est pas dans le fascisme ou le bolchevisme, en Suisse, il est tout simplement dans la guérison de la démocratie et dans un effort nouveau d'organisation sociale et économique. [...] Cela ne veut pas dire que nous voulions ici juger ce qui se passe dans d'autres pays. En Italie et en Russie, les régimes respectifs ont obtenu des résultats qui forcent l'admiration. En Turquie de même, grâce à cet effort politique, des peuples en pleine décadence se sont réveillés et ressaisis. Mais le Suisse n'est ni turc, ni russe, ni italien, sa tradition et sa mentalité sont différentes. L'histoire nous montre que chaque peuple a son processus politique propre. Le régime de Napoléon qui a si bien réussi en France et a apporté des institutions impérissables, a totalement échoué en Suisse et en Italie. Nous sommes donc persuadés que la formule suisse doit être autochtone et que c'est celle apportée par les radicaux : la démocratie directe sans parlementarisme.

Cependant, à partir du mois d'avril 1933, le ton change dans les deux journaux. C'est une véritable campagne de presse contre Hitler et le régime qu'il a mis en place en deux mois. Sur le plan de la politique intérieure de l'Allemagne, une grande place est faite à l'antisémitisme, condamné sans aucune réserve. Cette campagne contre l'antisémitisme se prolonge d'ailleurs bien au-delà du mois d'avril 1933 (par exemple, encore le 14 avril 1934, Le Peuple Genevois publie un article intitulé Dans l'empire hitlérien. Atrocités antisémites). De ce point de vue les deux journaux radicaux ont été les plus fermes sur le sujet (à l'exception de la Revue juive de Genève 33). Les deux organes radicaux se préoccupent également des camps de concentration, puisque Le Genevois du 23 septembre 1933* publie un article intitulé Au camp de concentration de Dachau, signé Pierre Bise (un radical fribourgeois qui a voyagé en Allemagne en 1933, et qui publie ce qu'il a vu dans un livre, Le cauchemar allemand, paru en 1934 34).

D'autre part, sur le plan de la politique extérieure de l'Allemagne, les deux journaux dénoncent fréquemment les menaces expansionnistes que ferait planer le grand voisin du Nord. Ces avertissements sont parfois accompagnés de rappels historiques concernant la Sainte-Alliance, Bismarck ou encore la Grande guerre (entre autres : Le Genevois, Au sujet du XIXme Anniversaire de la déclaration de guerre, 6 septembre 1933*). Cela nous amène à considérer un autre trait saillant des deux journaux radicaux : leur patriotisme très développé joint à une certaine xénophobie s'exerçant surtout à l'encontre des Allemands et des Asiatiques (c'est-à-dire les Russes, voir par exemple Le Peuple Genevois du 23 septembre 1933*).

Ce patriotisme se révèle en diverses occasions, comme par exemple une violation de frontière par des soldats allemands en été 1933 qui donne lieu à un article dans Le Genevois, le 16 août*, intitulé Halte-là ! . Il y est question de fierté, d'honneur national, de la Suisse libre et ombrageusement jalouse de sa souveraineté, de la traditionnelle fierté helvétique et de l'énergie séculaire des vieux helvètes, pour conclure :

Soyons des Suisses dignes de ce nom, ou renonçons à nous réclamer de nos glorieux ancêtres !

Sur le plan économique, ce patriotisme devient du protectionnisme : à plusieurs reprises de brefs articles déplorent le déficit de la balance commerciale suisse et appellent les Suisses à consommer des produits indigènes. De même pour les vacanciers : N'allez pas en Allemagne. Passez vos vacances en Suisse (titre d'un article du Peuple Genevois du 5 août 1933). Les deux journaux radicaux détiennent sans aucun doute la palme du patriotisme.

Quant à la xénophobie, elle s'exerce essentiellement contre les Allemands. Mis à part quelques utilisations du mot boche, on remarque que l'Allemand est souvent décrit comme un homme soumis :

Tout est possible dans ce chaos qu'est actuellement, malgré des apparences d'ordre rigoureux, l'Allemagne restée foncièrement militariste et caporaliste, férue d'obéissance, de discipline, de soumission aux guides jouissant du plus grand prestige.

L'Allemand est aussi vu comme un fauteur de guerre, comme en témoigne la citation qui suit, tirée d'un article du Peuple Genevois , signé Fortuny, sur le front de Stresa (Le temps présent. La victoire de Stresa, 20 avril 1935*, page 1) :

Deux fois en vingt ans, le Germain farouche et sanguinaire a cru l'heure venue d'instaurer son hégémonie infernale. En 1914-18, il dut s'agenouiller devant ses vainqueurs. En 1935, ceux-ci lui ont arraché son épée avant qu'il ait pu la saisir.

Cette germanophobie ambiante va de pair avec une grande admiration pour la France. Face aux tensions franco-allemandes que cause la Conférence pour le Désarmement, les radicaux prennent nettement parti pour la France. L'article, signé I.E., dans Le Genevois du 19 août 1933, ne laisse aucun doute à ce sujet.

Sur le plan de la politique genevoise, les radicaux utilisent fréquemment le contre-exemple de l'Allemagne, pour montrer ce qu'il ne faut pas faire, et aussi pour discréditer l'Union Nationale en l'assimilant régulièrement aux menées hitlériennes. Pour exemple, citons le titre d'un article paru dans Le Genevois le 4 juillet 1934, en page 2, intitulé : L'Allemagne en sang. Ce qu'admire Géo. ; ou encore celui publié dans Le Peuple Genevois du 4 novembre 1933*, dont le titre est : Ce qu'admire Georges Oltramare. Hitler fait la guerre aux enfants..

Nous nous rendons mieux compte de sa position ambiguë au début des années trente. Venant de la gauche il est repoussé vers la droite par le Parti socialiste genevois. Pour lui l'alternative est, ou de rester à gauche, fidèle à la tradition révolutionnaire de James Fazy, ou de lutter pour l'ordre établi et donc de rejoindre la droite. Car rester au centre, seul, n'était guère possible dans la mesure ou le Parti radical était en déclin par rapport aux décennies précédentes. Le gauchisme du Parti socialiste genevois en général, et de Léon Nicole en particulier, a probablement déterminé le choix du Parti radical. C'est en tous cas l'avis de René Rieder :

Ne trouvant plus d'identité idéologique commune avec les nouveaux partis progressistes, le parti radical cherchera des alliances politiques ailleurs, auprès des partis traditionnellement conservateurs. Historiquement, rien ne devait rapprocher le parti radical et le parti démocratique, qui deviendra le parti libéral en 1957. Au contraire, ils étaient ennemis depuis cent ans. Rien non plus ne devait rapprocher le parti radical et le parti indépendant chrétien-social. Ce dernier était en effet né pour contrer la politique anticléricale des radicaux. Pourtant, les excès socialistes des années 30, le nécessaire rétablissement de l'ordre politique et la polarisation du monde en deux conceptions idéologiques fondamentalement différentes, capitaliste et communiste, provoquèrent le rapprochement des trois partis en une Entente patriotique, puis nationale et enfin genevoise. 35

2.1.3 : La Suisse, un quotidien populiste

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La Suisse, journal indépendant de tout parti politique, peut en fait être rapprochée par certains traits de la défunte Union de Défense Economique; si nous parlons de ce parti qui disparaît au moment où débute notre étude, c'est que l'Union Nationale qui lui succède va vite prendre une orientation fasciste 36, que l'UDE n'a pas eue. Celle-ci avait une orientation très nette du côté du petit peuple genevois et surtout de ses commerçants et artisans, elle avait quelque chose de populiste mais non de fasciste; La Suisse non plus ne saurait être qualifiée de fasciste, même si elle eut des liens avec l'extrême droite.

La Suisse, nous l'avons dit, n'est pas un journal de parti, et ce n'est même pas ce qu'on pourrait appeler un journal d'opinion. C'est plutôt un journal d'information s'adressant à un public assez large, accordant beaucoup de place aux nouvelles sportives, aux faits divers ou encore aux divertissements (cinéma, théâtre,...). Dès lors, ce quotidien a relativement peu d'intérêt pour notre étude et nous n'en traiterons que brièvement.

Premièrement nous regarderons les éditoriaux ; quand ils concernent la politique internationale, ils sont toujours rédigés par René Baume. Mais ce n'est pas une rubrique quotidienne et leur fréquence varie selon les circonstances. Ces articles consistent surtout en un résumé d'événements récents qui permettent de mettre un peu de cohérence dans l'avalanche de dépêches qui par moments submergent certaines pages.

De la part de René Baume, on constate une germanophobie récurrente, surtout en ce qui concerne les dangers pour la paix européenne que comporterait une révision des frontières. C'est par exemple le cas dans son éditorial du 22 mars 1933, intitulé Le plan italien, qui se conclut ainsi :

Car la révision des traités mène infailliblement à la guerre. C'est ce que la Grande-Bretagne aurait dû faire comprendre à Berlin et à Rome et c'est dans ce rôle qu'elle pourrait encore exercer une influence vraiment salutaire en Europe.

Cette germanophobie apparaît également sous la plume d'Eugène Fabre, le rédacteur en chef, notamment le 15 octobre 1933, au lendemain du départ de l'Allemagne de la Conférence pour le désarmement - et cela bien qu'il tienne la Société des Nations en piètre estime.

On constate que l'Allemagne ne fait qu'assez peu l'objet d'articles, excepté pendant deux périodes : la première qui inclut les mois de février et mars 1933 et la deuxième qui va de la Nuit des longs couteaux jusqu'à l'accession de Hitler à la présidence du Reich. Pendant ces deux périodes la surface consacrée à l'Allemagne augmente fortement, après quoi elle diminue très vite.

Au début du mois de juillet la Nuit des longs couteaux mobilise l'attention, mais à aucun moment René Baume ne pense que la position de Hitler s'est dégradée : il pense au contraire qu'elle s'est renforcée. Il ne met pas non plus en doute l'existence d'un complot des S.A. contre Hitler. D'autre part il semble juger de manière plutôt positive l'action de Hitler, en tous cas il ne s'insurge pas contre les exécutions sans jugement (Le complot de Roehm , 2 juillet 1934*). Par contre le meurtre du chancelier Dollfuss suscite son indignation et des inquiétudes, entre autres celle de voir l'Autriche tomber sous la coupe de l'Allemagne (L'alarme autrichienne, 27 juillet 1934*).

Les tendances politiques de La Suisse peuvent également être évaluées à partir d'une rubrique d'apparence anodine, intitulée " Dans les partis politiques (Communiqués) ". Elle consiste surtout en communiqués de l'Ordre Politique National (celui repris par J.-E. Gross), de l'Union Nationale, du Parti indépendant et chrétien-social et du Front National. Très exceptionnellement elle contient un message du Parti socialiste. Mais ce qui est plus intéressant, c'est de constater qu'à l'approche des élections de 1933 cette rubrique devient presque une chronique politique. Car aux communiqués se substituent des comptes-rendus d'assemblées politiques, en fait celles de l'Union Nationale et de l'Ordre Politique National, qui, concernant ces deux partis, ne tarissent pas d'éloges. Acclamations, chaleureux applaudissements, approbation unanime, enthousiasme de la foule : les meetings pré-électoraux de l'extrême droite sont dépeints sur un ton idyllique ; en revanche les réunions de Parti radical ou démocrate ne sont jamais commentées.

La Suisse contient également une rubrique quotidienne qui présente un certain intérêt ; il s'agit de Au jour le jour, que Charles Martinet (1870-1941) signe du pseudonyme ZED. Cette rubrique, qui occupe la quatrième colonne de la première page, est une sorte de causerie sur un sujet quelconque d'actualité genevoise, suisse ou internationale. Souvent d'ailleurs l'article mêle plusieurs sujets. Le ton en est très léger et le texte est parsemé de jeux de mots plutôt faciles. En somme il s'agit d'une sorte de dissertation de café du Commerce, telle qu'elle pourrait être tenue par quelques bons Genevois après quelques bières. Bien que ce genre de discours soit à l'opposé d'un exposé doctrinal, il est quand même possible de dégager certaines constantes qui indiquent, sinon une tendance politique, du moins une certaine manière de voir les choses. Ces constantes sont une attitude hostile à la Société des Nations et aux politiciens et diplomates de haut vol, qui sont présentés comme de vains palabreurs (voir par exemple la chronique du 12 juillet 1934*) ; de même, Au jour le jour trahit une germanophobie latente, une crainte de l'Allemagne éternelle, belliqueuse et caporaliste. Au jour le jour est donc une rubrique populaire, qui prend le contre-pied d'une vision intellectuelle de la politique.

La Suisse est-elle tombée dans le champ magnétique des fascismes ? Il est difficile de répondre à cette question car nous ne disposons que d'indices. Par exemple, durant toute l'année 1933, la société éditrice de La Suisse, Sonor S.A., fait paraître un petit encart publicitaire dans l'Action Nationale. Deuxièmement, Eugène Fabre, le rédacteur en chef de la Suisse, a entretenu durant une certaine période de très bons rapports avec Georges Oltramare, ce que certains ne lui pardonnèrent pas, comme les radicaux qui ont souvent assimilé les deux hommes. Troisièmement, le 18 et le 28 février 1933 la Suisse publie des articles de Max-Marc Thomas, dont l'appartenance à l'extrême droite est bien connue. Quatrièmement, à la mort de François Coty, mécène de quelques ligues d'extrême droite françaises, La Suisse publie une nécrologie très élogieuse à son égard (27 juillet 1934, page 3, signée par Alfred Françon). Cinquièmement, lors des matches de football importants, le journal fait appel à Noël Fontanet, qui croque les moments clés de la rencontre avec humour. Ces quelques exemples montrent déjà que la Suisse est nettement plus proche de l'extrême droite que de la droite traditionnelle.

Mais d'autre part, nous n'avons vu aucune trace d'antisémitisme ou d'anti-maçonnisme, nous n'avons pas non plus vu de plaidoyer pour la corporation (à l'exception des articles déjà mentionnés de Max-Marc Thomas, qui restèrent sans lendemain). Bref, La Suisse essaye de garder les apparences de la neutralité : même si certains de ses rédacteurs ont pu avoir de nettes sympathies pour les fascismes, à aucun moment le journal ne devient un organe de combat politique. Il cherche à rester une entreprise commerciale, un journal de masse qui se destine à grand nombre de lecteurs et qui pour ce faire évite un contenu idéologique trop défini. Toutefois, pour qui sait lire entre les lignes, les tendances des rédacteurs apparaissent clairement ; on peut donc penser qu'il y a réel décalage entre la ligne générale de La Suisse et l'opinion de ses rédacteurs.

2.1.4 : Le Courrier de Genève, un quotidien difficile à classer

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Le Courrier de Genève est un organe de l'Eglise catholique, et il est aussi le moyen par lequel s'exprime le Parti indépendant et chrétien-social jusqu'en 1936 (à partir de là il s'exprimera par La Nouvelle Suisse). René Leyvraz (1898-1973), rédacteur en chef du journal, est aussi député du Parti indépendant et chrétien-social au Grand Conseil ; de 1932 à 1934 il est également vice-président de l'Association de la Presse Genevoise, puis président de 1934 à 1937. Henri Berra, qui collabore de temps en temps au journal, est également député au Grand Conseil. Le Courrier a une doctrine bien définie, à l'aune de laquelle sont interprétés les événements. Cette doctrine fait l'objet de longs développements, généralement en première page. Marxisme, corporatisme, travail et salaire, étatisme, christianisme et socialisme : tout ces sujets sont traités de manière approfondie. La politique étrangère y tient une place importante et l'Allemagne est un centre d'intérêt constant. La plupart du temps, les positions de la rédaction sur l'actualité internationale sont exprimées en première page, dans le " Bulletin " (c'est-à-dire l'éditorial) ; ces éditoriaux sont presque toujours signés R.L. (René Leyvraz) ou H.S. (Henri Schubiger). Le Courrier de Genève n'a pas de correspondants à l'étranger et fait rarement appel à des personnes extérieures à la rédaction.

Nous allons, dans un premier temps, regarder comment le Courrier de Genève décrit la mise en place progressive de la dictature hitlérienne dans les premiers mois de l'année 1933.

Au mois de janvier la situation de l'Allemagne apparaît comme très confuse et intenable à moyen terme ; cependant Henri Schubiger, dans le premier éditorial de l'année (Rétrospectives 1932, 1er janvier 1933), discerne quand même un signe encourageant :

"Le mouvement national-socialiste, ayant atteint son point de hausse culminant aux élections de juillet 1931 [1932], est, depuis, en sérieux déclin."

Le 22 janvier René Leyvraz prend acte de la faillite de la démocratie et du parlementarisme; c'est que Hitler se présente comme un adversaire redoutable de von Schleicher, pour lequel la rédaction semble avoir quelques sympathies. Ainsi le Bulletin du 14 janvier, signé R.L., s'intitule Hitler contre Schleicher, et sa conclusion est nette:

Le combat s'engage entre le tempérament d'un tribun et le caractère d'un homme d'Etat. Les chances de Hitler diminuent à vue d'oeil.

Il est clair que dans un premier temps, au Courrier de Genève, on n'est pas partisan du national-socialisme et que l'on se méfie de Hitler ; cela n'a rien d'étonnant puisque Hitler n'a rien à proposer en matière de catholicisme. Le 31 janvier*, Henri Schubiger rédige le Bulletin, intitulé simplement Hitler chancelier, qui commence par cette annonce laconique: Lundi matin, Hindenburg a nommé Adolf Hitler chancelier du Reich.. Dans cet article, Henri Schubiger exprime clairement sa conviction que la nomination d'Hitler n'est que le premier pas vers la restauration impériale :

Comment l'homme [von Papen] attaqué si furieusement par les nazis, à l'époque où il était chancelier, dirigea-t-il ses manoeuvres du côté d'Hitler ? Mystère des nécessités de la restauration impériale, servie avec zèle par von Papen, ami de l'ex-kronprinz. Tous les efforts pour trouver une coalition gouvernementale favorable à cette solution ayant échoué, il ne restait plus qu'à jouer la carte Hitler. Les Hohenzollern encourageaient ouvertement la chose; plusieurs des membres de l'ex-famille impériale participent au mouvement national-socialiste et multiplient les gestes sympathiques à l'égard de celui-ci.

Deux jours après, c'est encore Henri Schubiger qui signe le Bulletin. Il y analyse les principales difficultés que devra affronter le nouveau cabinet : premièrement, au Reichstag, Hitler a besoin de l'appui du Centre mais celui-ci n'a que peu de sympathie pour le nouveau chancelier ; deuxièmement Hitler va devoir essayer de tenir toutes ses promesses électorales, ce qui ne sera pas facile ; troisièmement Hitler devra écraser le marxisme, comme il l'a promis, mais [...] le Berlin rouge organise dans l'ombre une résistance qui sera féroce, si la méthode employée par Hitler et son ministre de l'Intérieur, Frick, n'en paralyse pas les moteurs à temps.

Le 3 février*, sous le titre Le communisme allemand aux abois, René Leyvraz commente la dissolution du Reichstag ainsi que la situation intérieure de l'Allemagne. Pour lui, une lutte à mort s'engage entre les communistes et les fascistes, et ce qui se joue en Allemagne n'est ni plus ni moins que le sort de la révolution bolchevique mondiale.

Lénine et ses émules ont toujours fondé de grands espoirs sur l'Allemagne: si le fascisme parvient à s'établir solidement dans ce pays, ces espoirs sont fauchés et la révolution mondiale rentre décidément dans le domaine du mythe.

Dans ce face à face entre Moscou et Hitler, René Leyvraz prend clairement parti pour le national-socialisme, et on sent même poindre une sorte de jubilation à l'idée que Hitler puisse exterminer toute forme de marxisme en Allemagne.

Il dispose, pour écraser le communisme, de toutes les forces de l'Etat. Son discours de mercredi au micro annonce une détermination implacable.

On peut également remarquer que dès cette date René Leyvraz trace un parallèle entre l'Allemagne et l'Italie, entre Hitler et Mussolini, pour lequel René Leyvraz a une admiration certaine comme nous le verrons encore à maintes reprises. Pour l'instant ce parallèle se fonde exclusivement sur la lutte menée contre le marxisme, mais le régime mussolinien, par la suite, va souvent revenir comme un point de référence par rapport auquel sera jugée l'action d'Hitler.

Le 24 février 1933, dans un éditorial intitulé La position du Centre allemand, René Leyvraz souligne les inconvénients auxquels pourrait conduire le national-socialisme. Jusque là, il avait surtout mis en avant les aspects qu'il jugeait positifs : lutte contre le marxisme et création d'un régime autoritaire par opposition à la démocratie parlementaire. Les inconvénients sont surtout d'ordre religieux car :

[...] les tendances anticatholiques du racisme se sont manifestées à maintes reprises et de manière fort agressive. Les responsabilités du pouvoir peuvent contraindre Hitler à les réfréner. Il ne le fera que si les catholiques l'y forcent par leur discipline, leur esprit de sacrifice et la puissance de leur organisation. La lutte sera longue et serrée. Elle s'engage dès maintenant contre les prétentions unitaires de la dictature.

Le régime hitlérien apparaît ainsi comme un danger pour l'église catholique ; en effet ce régime s'est très rapidement radicalisé et ne se contente plus de lutter contre les communistes et les socialistes. Les organes du catholicisme, comme la Germania, journal du Centre, ont également été frappés d'interdictions temporaires. En fait Hitler, en instaurant une dictature, menacerait de se passer de ce parti :

Quoi qu'il en soit, l'ire des racistes se déchaîne maintenant contre le Centre. A la suite de la publication du manifeste des associations catholiques, la Germania a été suspendue pour trois jours; et cette mesure est étendue à tous les organes du parti du Centre en Prusse. A Lörrach, une assemblée électorale du Centre, où l'ancien ministre Stegerwald devait prendre la parole, a été sabotée au moyen de bombes lacrymogènes. Les épisodes de ce genre se multiplient. Il y a quelques jours encore, on pouvait croire que Hitler, au lendemain des élections du 5 mars, rechercherait l'appui du Centre au Reichstag. Il faut perdre cette illusion. Le rôle du Centre comme arbitre parlementaire est terminé. Il faisait partie du "système" que l'hitlérisme démolit. Si le Führer n'obtient pas la majorité, il s'en passera. Il proclamera la dictature qui, en fait, existe déjà.

On constate au passage que pour parler des nationaux-socialistes René Leyvraz utilise le terme de racistes, avec une connotation péjorative assez claire (on constate la même chose dans le Journal de Genève du 10 janvier 1933, qui utilise ce terme trois fois pour qualifier successivement Frick, Hitler et le NSDAP). Mais d'autre part il ne faudrait pas y voir une condamnation de l'antisémitisme (René Leyvraz fera souvent preuve d'antisémitisme). C'est plus probablement une condamnation d'une doctrine qui postule l'inégalité des hommes en fonction de leur race, de leur sang, alors que la doctrine chrétienne se veut universelle et ne juge pas les hommes selon leur inné mais selon leurs actes.

Quoi qu'il en soit, pour René Leyvraz il n'est pas concevable qu'Hitler puisse se passer de l'Eglise, car il serait voué à l'échec. S'il veut durer, il devra impérativement faire une large place à la doctrine de l'Eglise :

La doctrine de combat qu'elle [la réaction hitlérienne] s'est donnée a été, dans une large mesure, dictée au jour le jour par les nécessités de l'agitation. Elle est farcie d'outrances et de puérilités. S'il entreprenait de mettre en oeuvre, point par point, ce bric-à-brac idéologique, l'hitlérisme sombrerait à bref délai dans le ridicule. Force lui sera, sous les coups répétés de l'expérience, d'épurer et de compléter sa doctrine. Et c'est alors qu'il devra, bon gré mal gré, faire appel aux réserves spirituelles et morales que le catholicisme maintient envers et contre tout, et qui seules peuvent sauver de la catastrophe la société actuelle. C'est pourquoi, même à travers les vicissitudes cruelles de la politique, la mission des catholiques allemands nous paraît magnifique, et le rôle du Centre plus important encore que son rôle passé. Un système politique est fini. Les valeurs politiques et sociales du catholicisme demeurent. La crise elle-même les met sans cesse en relief. Elles répondent aux besoins de ce temps parce qu'elles prennent leur source dans les vérités éternelles.

Le 25 mars René Leyvraz commente le programme du nouveau cabinet, qu'Hitler a exposé au nouveau Reichstag. Il constate, avec plaisir, qu'Hitler n'est pas celui que l'on avait d'abord cru. Il a une véritable carrure d'homme d'Etat, c'est un chef habile et énergique et il n'est pas du tout dans ses intentions de restaurer les Hohenzollern. De plus [...] Hitler met rudement l'accent sur le caractère social de son programme. :

C'est l'arrêt de mort de la ploutocratie libérale. La propriété privée sera protégée, favorisée. Mais elle le sera aussi et d'abord contre l'accaparement ploutocratique et la spéculation. La concentration abusive et malsaine des richesses est directement visée. Sous ce rapport, Hitler suit les traces de Mussolini. Et quant à nous, dans ce domaine-là, nous ne pouvons que constater la concordance de son effort avec les enseignements de la sociologie chrétienne.

Pour René Leyvraz, ce programme est donc fondamentalement positif, ce qu'il exprime comme ceci en conclusion de son article :

Le programme de Hitler n'a rien en soi d'alarmant, et il ouvre en bien des domaines des perspectives intéressantes. Ce que le monde attend du régime hitlérien, c'est qu'il mette fin aux honteux excès de quelques bandes nazistes déchaînées, qui gardent l'esprit et le goût de la guerre civile, alors qu'il s'agit d'instaurer un ordre national digne et durable.

Quelques jours plus tard, un autre sujet de politique intérieure allemande vient sur le devant de la scène, celui de la situation des juifs en Allemagne. En effet, suite au boycott des produits allemands par certains pays qui dénoncent des persécutions contre les juifs, le cabinet Hitler décrète un boycott national pour le 1er avril. Pour René Leyvraz, c'est l'occasion, dans le Bulletin du 30 mars 1933*, de faire le point sur cette question. A son avis, il n'est pas douteux que l'Allemagne est le théâtre d'une explosion de haine contre les juifs, et que cette haine est condamnable car elle contrevient au principe de la charité chrétienne. Mais,

Est-ce à dire que certaines formes de l'influence juive - ploutocratiques ou révolutionnaires - ne soient funestes et qu'il ne faille les combattre ? Nullement.

En effet,

[...] les Juifs ont pris dans nos sociétés occidentales, malgré leur nombre restreint, une influence excessive. L'économie libérale, par son laisser faire, leur a ouvert toutes les voies. Elle a mis entre leurs mains l'arme redoutable de la société anonyme. Cette économie, antichrétienne et inhumaine, s'est doublée d'un relâchement politique qui a ouvert toutes les écluses de l'agitation révolutionnaire. La volonté de puissance d'Israël s'est aussi donné carrière dans cette direction. Le fondateur du communisme "scientifique" est un Juif. Les intellectuels juifs ont joué partout un rôle de premier plan dans l'organisation de la révolution sociale, dans la propagande d'extrême-gauche.

La solution à ce problème, pour René Leyvraz, a déjà été trouvée et appliquée avec succès, en Italie évidemment :

Le fascisme a su éviter cet écueil. Il a opéré la mise en place des éléments juifs par une réorganisation générale de l'économie qui restreint considérablement le jeu de la ploutocratie, et par l'établissement d'une discipline politique qui coupe court à l'agitation révolutionnaire. Il n'a pas dénié aux Juifs le droit de vivre et d'agir dans les limites de cet ordre. On n'a pas entendu parler de persécutions sanglantes. C'est la bonne solution.

D'ailleurs, le 5 avril 1933*, revenant sur cette question, René Leyvraz redit la même chose : C'est une erreur que le fascisme italien a su éviter. D'autre part il insiste sur les liens entre la grande presse et la haute finance juive :

Il est clair qu'une bonne partie de la grande presse américaine, anglaise et française tente de mobiliser l'Internationale juive contre le nouveau régime allemand et cela pour des fins politiques qui n'ont pas de rapports avec les intérêts de l'humanité. Quand on persécutait les catholiques au Mexique et en Espagne, la plupart de ces journaux gardaient une étonnante discrétion. Ils faisaient, ou peu s'en faut, la conspiration du silence. Tels d'entre eux s'appliquaient même à démontrer, avec les précautions d'usage, qu'en somme les catholiques ne l'avaient pas volé ! Aujourd'hui, les colonnes du Temps, par exemple, sont encombrées d'une hâtive littérature qui tend à ameuter l'opinion mondiale contre l'Allemagne hitlérienne. On fait un sort aux moindres manifestations. C'est là un zèle fort remarquable, surtout si l'on considère la paralysie du Temps, et des journaux de ce genre dans tous les pays, vis-à-vis des ravages de la ploutocratie internationale où l'influence juive joue un rôle prépondérant. Mais tout s'explique si l'on se rappelle que la grande presse, à peu d'exceptions près, est étroitement liée à cette même ploutocratie.

Nous voyons donc, dans ces derniers articles, que René Leyvraz reprend à son compte une certaine idée couramment exprimée par des mouvements comme l'Union Nationale à Genève : l'existence d'une Internationale juive exerçant une influence néfaste sur la société, autant par le biais du grand capital que par celui de l'agitation révolutionnaire. Certes, René Leyvraz admet aussi la responsabilité de certains chrétiens, que ce soit dans la " ploutocratie " ou dans le mouvement bolchevique ; mais il semble bien que pour lui il n'y ait que les Juifs qui soient assez perfides pour jouer sur les deux tableaux à la fois, de manière concertée. Quoi qu'il en soit la question juive ne sera plus beaucoup traitée dans le Courrier de Genève jusqu'en mai 1934, période durant laquelle il y a un échange de lettres, publiées dans le journal, entre la rédaction et un certain Paul Dreyfus.

Revenons à l'année 1933. La fin du mois de mars et le début de celui d'avril marquent le début de la baisse du nombre d'articles consacrés à l'Allemagne. En effet le nouveau régime semble avoir réussi à asseoir son pouvoir, les diverses oppositions ayant été muselées. Désormais l'intérêt porté à l'Allemagne devient plus sporadique ; en ce qui concerne le Courrier de Genève, ce sont surtout les affaires religieuses qui remettent de temps à autre l'Allemagne à la une. C'est notamment le cas le 11 juillet 1933*, quand René Leyvraz commente le Concordat signé le 8 juillet entre le Saint-Siège et le IIIème Reich. Pour lui, il est évident que ce Concordat est une bonne chose : il permet de garantir les libertés religieuses des catholiques allemands. Certes cela implique de laisser tomber le Centre, le parti catholique allemand, mais aux yeux de René Leyvraz cela n'est pas grave car [...] , l'Eglise n'est en rien liée au sort d'un parti.. L'essentiel étant d'avoir une approche pragmatique, de s'accommoder du régime en place pour autant qu'il respecte les droits de l'Eglise. Pour René Leyvraz cela doit être possible, d'autant plus que :Le chancelier Hitler, en tous cas, s'efforce de modérer l'action des éléments extrémistes. Nous retrouverons cette attitude, qui est de penser qu'Hitler est un élément modérateur. C'est une attitude optimiste, qui permet de croire que le régime va évoluer vers l'apaisement, sous l'impulsion du chef suprême. C'est d'ailleurs le thème du Bulletin du 16 juillet 1933, L'évolution du régime hitlérien.

Le 6 mai 1934*, à l'occasion de l'entrée en vigueur du Concordat autrichien, Henri Schubiger fait l'éloge du régime mis en place par le chancelier Dollfuss, et met en parallèle la situation des catholiques en Allemagne et en Autriche. Cela aboutit à une diatribe contre l'Allemagne hitlérienne qui s'est empressée de violer le concordat signé avec le Saint-Siège, et [...],où un Rosenberg est chargé par Hitler de donner aux citoyens une conception du monde basée sur un paganisme ridicule!. D'ailleurs, après l'Italie, l'Autriche devient un autre point de référence, un autre exemple à imiter sur le plan suisse ; c'est en tous cas la conclusion du Bulletin du 12 mai 1934, signé par René Leyvraz :

Voilà ce que nous devons faire en Suisse. Puisse cette indispensable rénovation s'accomplir pacifiquement, selon les vraies traditions de nos républiques !

Cette citation doit être mise en rapport avec la récente adoption - le 1er mai 1934 - en Autriche, d'une nouvelle constitution basée sur le corporatisme et qui rejoint ainsi la doctrine énoncée par Pie XI 37.

Comme nous l'avons déjà mentionné, il y a, au mois de mai 1934, un échange de lettres entre la rédaction et Paul Dreyfus. Cela donne l'occasion à René Leyvraz de revenir sur le sujet de la question juive, et sa pensée semble s'être radicalisée. Le 27 mai 1934* il revient sur le [...] rôle très grand que jouent les Juifs dans la finance et la révolution internationales. :

Il s'agit d'une action puissante, massive, continue, qui procède dans les deux cas du même souci. Par le matérialisme de l'or, par le matérialisme révolutionnaire, ces Juifs pensent créer un univers où rien ne leur soit plus étranger, où leur volonté de puissance se donne libre cours. Chez Israël, comme dans toute nation, il y a des tendances impérialistes. Du fait de la dispersion, elles ne peuvent se manifester sur le plan territorial. Elles sont nécessairement internationales et l'on ne saurait nier qu'elles éclatent avec une singulière virulence dans la finance comme dans la révolution. Ce n'est pas là l'essence du judaïsme? Possible. Ce n'en est pas moins une manifestation de l'influence juive que nous avons le devoir de dénoncer, et contre laquelle les Juifs sensés doivent vigoureusement réagir.

Mais il va aussi plus loin, en dénonçant Arthur Meyer comme un des fossoyeurs- sans doute inconscient- du royalisme français. Nous découvrons là une autre facette du rédacteur en chef du Courrier : son aversion profonde pour la Révolution française, dont ce n'est pas le seul exemple. En tous cas,

Je pense, en effet, que si les Juifs doivent être respectés dans leurs convictions religieuses et dans leur dignité humaine, il ne saurait être question d'aucune manière de leur confier les hauts postes du gouvernement en pays de chrétienté. Cela pour la simple raison, je le répète, qu'il leur est impossible de s'assimiler entièrement, quel que soit leur attachement à leur patrie d'adoption et leur loyalisme civique.

Après cela, il ne sera plus beaucoup question de la question juive dans le Courrier de Genève, du moins en ce qui concerne notre période 38. Par contre, le thème des persécutions religieuses dont sont victimes les catholiques allemands revient en force 39. Les arguments sont toujours les mêmes : le régime hitlérien a violé le Concordat du Reich de manière éhontée et tente de substituer un néo-paganisme absurde et raciste au christianisme. On constate que les attaques du Courrier visent surtout Rosenberg, plus qu'Hitler. Il y a également des critiques contre les protestants, surtout de la part d'Henri Schubiger (3 et 10 juin, 1er juillet 1934).

Venons en maintenant aux événements de juillet et août 1934. A propos de la Nuit des Longs couteaux, ce qui frappe en premier lieu est l'avalanche de dépêches d'agences qui donne une impression de confusion complète ; ensuite on constate que c'est l'événement qui prend le plus de place depuis janvier 1933, et il ne sera surpassé que par l'assassinat du chancelier Dollfuss. Enfin, il est intéressant de noter qu'à aucun moment les rédacteurs du Courrier de Genève ne mettent en doute l'existence d'un complot dirigé contre Hitler. Cela se comprend pour les tout premiers jours de juillet, mais il est étonnant qu'ils n'aient pas décelé, contrairement à d'autres, l'absurdité d'une alliance entre Roehm, von Schleicher et certains milieux de la Wehrmacht.

Le 3 juillet*, René Leyvraz écrit le premier " Bulletin " traitant de la question ; il approuve cette répression énergique d'un complot qui n'aurait pu profiter qu'aux bolcheviques :

[...] : si le complot avait réussi, l'Allemagne serait aujourd'hui en proie à la plus terrible des guerres civiles. Qui pouvait tirer les marrons du feu ? - Moscou.

Il pense qu'Hitler suit la bonne voie, celle de la synthèse entre nationalisme et socialisme, mais qu'il demeure un défaut dans la politique national-socialiste : ses positions en matière religieuse :

Sa doctrine est vague et médiocre. En cherchant à superposer aux religions une sorte de paganisme raciste, il n'a nullement réussi à donner au peuple allemand une véritable discipline spirituelle.

Et il poursuit, se servant de l'habituel point de référence :

En Italie, Mussolini a eu la sagesse de comprendre qu'on ne fabrique pas une religion. Hitler paraissait disposé à l'imiter, mais il n'a pas eu la main assez ferme à l'égard de certains de ses lieutenants dont l'antichristianisme se faisait de plus en plus agressif.

Dans un deuxième temps Henri Schubiger, dans le Bulletin du 8 juillet, va condamner violemment un certain pan de la répression, qui a aussi touché les milieux catholiques. Il dénonce l'assassinat du Dr Klausener, chef de l'action catholique berlinoise, perpétré dans l'unique but de se débarrasser d'une personnalité gênante. Après cette date, l'affaire va se tasser assez vite. Moins de trois semaines plus tard, c'est l'assassinat du chancelier Dollfuss par les nazis autrichiens. Pour les rédacteurs du Courrier ce meurtre paraît d'autant plus ignoble qu'ils avaient salué à maintes reprises l'oeuvre accomplie par Dollfuss, chrétien et corporatiste convaincu.

Ces événements vont faire que les articles du Courrier dénotent de plus de scepticisme à l'égard de Hitler ; on se demande s'il est vraiment sincère. Toutefois, le 25 août 1934*, René Leyvraz semble avoir retrouvé un certain optimisme, une certaine confiance dans celui qui est alors le chancelier et le président du Reich :

Hitler est-il résolu à mettre fin à cet état de choses ? Il dispose maintenant d'un pouvoir absolu. Puisse-t-il, après tant d'erreurs, en user sagement !

Après cette analyse détaillée, et peut-être un peu fastidieuse, il est temps de s'interroger sur l'image générale donnée par le Courrier de Genève de l'Allemagne national-socialiste entre janvier 1933 et août 1934. L'Allemagne est-elle prise en exemple ? Ou au contraire sert-elle de repoussoir ? En fait, l'attitude du Courrier n'est pas la même quel que soit le thème abordé. Il nous a donc semblé pertinent d'examiner successivement différents thèmes.

Premièrement, il faut constater l'approbation face à la mise en place d'un régime autoritaire en Allemagne, qui se passe du parlement et qui a ainsi les coudées franches pour prendre des mesures radicales dans l'intérêt public (en clair : pour mater les mouvements de gauche et mettre fin aux désordres économiques et sociaux générés par le libéralisme). En effet l'idéologie libérale née de la Révolution française est vue comme l'origine de tous les maux, et tous ces maux ne peuvent que précipiter la société vers l'Enfer, vers Moscou. René Leyvraz expose très clairement sa doctrine à ce sujet dans La crise de notre démocratie 40 ; bien que cet ouvrage soit paru en 1937, il nous semble très proche des positions qu'il a défendues dans le Courrier en 1933 et 1934. Seule différence peut-être, sa pensée est mieux systématisée et s'est radicalisée face au libéralisme. En 1940 René Leyvraz poursuivra dans cette direction avec Principes d'un ordre nouveau 41. Donc, pour ce qui est du régime politique, il est clair que le Courrier donne une image positive de l'Allemagne national-socialiste, car un régime autoritaire, voire une dictature (ce mot n'ayant pas de connotation péjorative dans le Courrier), est par définition contre le libéralisme.

Deuxièmement, il faut également noter que la révolution nationale opérée en Allemagne est aussi montrée en exemple aux Suisses et aux Genevois. Le patriotisme et le nationalisme sont pour les deux principaux rédacteurs du Courrier des valeurs essentielles, sans lesquelles on ne fera rien. En effet, c'est par ces valeurs-là que les Suisses peuvent et doivent retrouver leurs racines, leurs traditions ancestrales et donc leur christianisme. D'autre part le nationalisme permet de souder le peuple, il lui permet de transcender ses divisions socio-économiques sur lesquelles se base le marxisme. Le nationalisme est donc vu comme l'antidote à la lutte des classes, et le prélude à leur collaboration qui se réalisera dans la corporation.

Or la corporation est un objectif essentiel du Parti indépendant et chrétien-social. Là encore le régime hitlérien est montré en exemple, puisqu'il supprime les syndicats et met en oeuvre une politique de collaboration entre patrons et ouvriers, sciant la branche sur laquelle sont assis les marxistes. Cependant, dans le cas des corporations, il est clair que, bien plus que l'Allemagne national-socialiste, c'est l'Italie de Mussolini et peut-être plus encore l'Autriche chrétienne de Dollfuss qui sont montrées en exemple.

Quant à l'antisémitisme ouvertement déclaré et mis en oeuvre par le nouveau chancelier, nous avons vu qu'il n'était que partiellement apprécié : entièrement admis dans son principe, les méthodes semblent excessives. En tous cas il ne fait pas de doute que le Courrier de Genève, par l'intermédiaire de René Leyvraz plus que par Henri Schubiger, véhicule des clichés propre à accroître l'antisémitisme. Cependant le quotidien catholique est resté relativement discret sur ce sujet, il n'en a pas fait son cheval de bataille, et les autres écrits de René Leyvraz sont beaucoup plus explicites sur ce sujet.

Relativement à la politique extérieure de l'Allemagne, on constate surtout une absence presque totale de commentaire. D'ailleurs il en est de même avec toute la politique internationale : il n'est pour ainsi dire pas question de la Conférence pour le Désarmement, comme il n'est pas question des autres activités de la Société des Nations ou des différentes alliances entre Etats qui se nouent et se dénouent. A tel point qu'il n'est pas possible de savoir si les rédacteurs du Courrier étaient partisans ou adversaires du réarmement de l'Allemagne, s'ils trouvaient la politique de la France trop intransigeante ou trop molle, s'ils étaient pour les Japonais ou les Chinois dans le conflit de Mandchourie, etc.

Mais dans le Courrier, on discerne aussi des reproches à l'égard de la politique intérieure de l'Allemagne. Le reproche principal, et presque unique, c'est qu'Hitler n'a pas l'air de songer à établir un régime fondé sur le christianisme. Cela rend bien entendu impossible une pleine adhésion de René Leyvraz et d'Henri Schubiger au nouveau régime ; en effet il est pour eux indispensable que le temporel s'appuie sur le spirituel, et de préférence sur l'Eglise catholique romaine.

D'autre part le racisme des nationaux-socialistes est également fréquemment dénoncé ; il n'est pas dénoncé pour ses conséquences antisémites ou pour l'inégalité qu'il proclame entre Européens et Asiatiques ou entre Européens et Africains, mais plutôt parce qu'il aboutit à fragmenter les peuples chrétiens : Germains et Francs, Nordiques et Méditerranéens, etc. Le racisme apparaît donc comme une conséquence du néo-paganisme allemand, qui escamote le passé chrétien de l'Allemagne et va chercher ses référents dans un monde pré-chrétien. Cela va évidemment à l'encontre du courant qui situe l'Age d'or de l'humanité au temps des Croisades, quand la Chrétienté était guidée et unie par le pape. Mais il faut bien voir qu'au Courrier on attribuera longtemps encore ce genre d'excès du régime à certains illuminés faisant partie des proches d'Hitler, et non à Hitler lui-même ; ces illuminés, ce sont essentiellement Goebbels et Rosenberg. Ce sont d'ailleurs les seuls dirigeants nazis nommés, avec Goering et Frick (qui sont ministres), et Roehm (en juillet 1934 seulement).

Peut-on dire que pendant ces années le Courrier de Genève était un journal fasciste ? Nous serions tenté de répondre qu'il a effectivement été proche d'un certain fascisme. En effet son idéal politique, c'est bien en Italie qu'il faut le chercher. Mussolini est une référence constante, il est pris pour l'exemple même de la dictature éclairée, clairvoyante et, sinon chrétienne, laissant en tout cas des responsabilités à l'Eglise. L'Allemagne, par contre, est perçue de manière un peu plus critique, surtout du fait de sa politique religieuse. D'autre part si n'être " ni de droite ni de gauche " 42 était la condition nécessaire et suffisante pour être classé parmi les fascistes, alors le Courrier de Genève serait un organe fasciste. Mais cela reste du domaine du politique, et la politique n'est pas ce qu'il y a de plus important pour les rédacteurs du Courrier ; le plus important ce sont les valeurs spirituelles de la religion chrétienne. Or cela ne fait pas partie des définitions communément admises du fascisme ; d'ailleurs on sent, au premier semestre de 1934, un net penchant pour le régime autrichien, que les historiens ne classent pas toujours parmi les régimes fascistes (entre autres parce que Dollfuss était anti-nazi car il tenait à l'indépendance de l'Autriche, ce qui d'ailleurs ne nous semble pas être une raison valable). De plus les rédacteurs du Courrier ont certains côtés réactionnaires (dénonciation de la de la Révolution française, de la Réforme et même de la Renaissance, néo-paganiste et mercantiliste) qui ne cadrent pas tout à fait avec le fascisme, celui-ci ayant été un mouvement tourné plus vers l'avenir que vers le passé. De toute façon la question reste ouverte puisqu'il existe autant de définitions du fascisme que d'historiens du fascisme.

Il faut encore noter que, au Courrier comme au Parti indépendant et chrétien-social, on semble avoir eu peu d'estime pour le fascisme genevois, c'est-à-dire pour l'Union Nationale et Georges Oltramare (voir le Bulletin du 29 avril 1933 : Les fronts nationalistes). Et effectivement, dans un premier temps, le Parti indépendant et chrétien-social et l'Union Nationale ne semblent pas avoir eu beaucoup d'affinités l'un avec l'autre sur le plan politique, excepté peut-être sur le terrain du corporatisme. Et cela bien qu'ils aient représenté la droite de l'Entente et qu'ils soient tous deux entrés en conflit avec le Parti radical, trop à gauche à leur goût et suspect à leurs yeux, comme tous les partis radicaux, d'être infesté par la franc-maçonnerie. Cela est sans doute en grande partie dû à l'attitude de l'Union Nationale face à la religion chrétienne : celle-ci n'affiche qu'un christianisme de façade, qui ne revêt d'importance qu'en tant que tradition nationale.

En dernier lieu nous aimerions ouvrir une parenthèse à propos d'un événement qui sort de notre champ chronologique : le départ de la rédaction du Courrier de Genève de René Leyvraz, en 1935. Dans Courrier. Cents ans d'histoire, René Leyvraz fait une lecture assez personnelle de l'événement 43 :

En bref, dès 1933, je sentis qu'une poussée de droite investissait Le Courrier et que ma situation allait devenir intenable. Elle le devint en effet. En 1935, je quittai le journal pour ne pas être réduit à cautionner des compromissions auxquelles je ne pouvais souscrire.

Cette interprétation a d'ailleurs été prise pour argent comptant par certains auteurs (comme Jacques Meurant 44 ou Charles-F. Pochon 45). Certes René Leyvraz a toujours été proche de la gauche, depuis ses débuts au Parti socialiste, et surtout des syndicats chrétiens ; il se prononce pour un christianisme social, dans la lignée qui va de Rerum novarum à Quadragesimo anno. Mais d'autre part il est plus proche du fascisme que ses successeurs, plutôt conservateurs et traditionalistes. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'on retrouve René Leyvraz rédacteur en chef dès septembre 1935 de la Liberté Syndicale, un journal qui n'est pas particulièrement à gauche. En fait, il ne s'agit pas d'une poussée de droite, mais du passage d'une droite à une autre, l'une novatrice, ambitieuse et parfois agressive, l'autre traditionnelle, statique et quelque peu passéiste.

Du côté des organes catholiques romands on peut également mentionner L'Echo Illustré, Revue catholique illustrée, hebdomadaire. Ce périodique ne présente guère d'intérêt pour nous, les articles politiques étant plutôt rares. Il s'agit plutôt d'un journal de divertissement, qui publie beaucoup de photos, des feuilletons (dont Tintin au pays des Soviets), des reportages ; son seul côté politique est un militantisme ardent pour la cause catholique.

2.2 : L'extrême droite face à l'Allemagne national-socialiste

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2.2.1 : Le Pilori, organe de Georges Oltramare

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Une place à part doit être faite au Pilori, Journal satirique paraissant toutes les deux semaines comme l'indique son sous-titre. Fondé en 1923 et dirigé par Georges Oltramare (1896-1960) depuis le début, il s'occupe essentiellement de politique locale, épinglant les politiciens de la République. Le succès du Pilori est en bonne partie dû aux pamphlets de Georges Oltramare, fort bien écrits, et aux caricatures de Noël Fontanet. Ce dernier, révélé par Oltramare, est de loin le meilleur caricaturiste sur la place genevoise. D'ailleurs il est très demandé par la presse de droite puisque l'on trouve ses dessins dans un bon nombre de publications (bien qu'il s'agisse assez souvent de dessins déjà parus dans le Pilori) ; citons pour exemple l'Action Nationale, L'Avenir, La Dernière Cartouche, La Jeune Suisse, La Liberté Syndicale, La Nouvelle Suisse, l'Ordre Professionnel, la Sentinelle de Genève, la Suisse, Vouloir, sans compter beaucoup d'affiches électorales (pour l'Entente patriotique en 1933, pour le Parti indépendant et chrétien-social et même pour le Parti radical ; plus tard il collaborera avec le mouvement xénophobe " Vigilance ", fondé en 1963). Par ailleurs, la couverture du bulletin publié chaque année pour l'Escalade par la Compagnie 1602 comporte souvent un dessin de Fontanet : pour la première fois, semble-t-il, en 1934, puis en 1939, puis de manière ininterrompue de 1952 jusqu'à 1978. A notre avis, la vie et l'oeuvre de Noël Fontanet mériteraient d'être analysées : toute la vie politique de Genève à une certaine époque s'y reflète, déclinée sur le mode de l'extrême droite nationaliste et chrétienne.

Dans un certain sens, le Pilori ne peut pas être rattaché à un parti politique: Georges Oltramare fait attention de ne pas trop le compromettre pour ne pas le figer dans un credo politique. Le Pilori reste un journal essentiellement satirique, il est l'orgueil de Géo, sa vitrine respectable. Ce qui est sûr, c'est qu'il était diffusé bien au-delà des partisans de l'Union Nationale. Mais ajoutons que si le Pilori n'est pas attaché à un parti, il est attaché à un homme, et que cet homme a une intense activité politique. En 1930 Georges Oltramare fonde l'Ordre Politique Nouveau, un parti potentiellement fasciste, qui trouve un allié naturel en l'Union de Défense Economique, représentante d'une droite populiste luttant avec acharnement contre l'étatisme, et attachée à la défense des petits commerçants contre la grande distribution 46. De la fusion des deux partis résulte l'Union Nationale, qui au fil du temps devient un parti fasciste au plein sens du terme 47. Dans Le Pilori les thèmes préférés de l'Union Nationale sont très présents: antisémitisme, anti-maçonnisme, anti-marxisme. Pourtant ce fascisme n'est pas tourné vers l'Allemagne, mais vers l'Italie mussolinienne, à laquelle vont toutes les éloges (et d'où viendront des subventions 48).

Comment le thème de l'Allemagne national-socialiste fut-il traité dans le Pilori entre 1933 et 1934 ?

En fait le Pilori est un journal qui sert surtout à dénoncer des adversaires politiques, et non à répandre des idées ; dans ce sens c'est un journal négatif qui dit clairement ce qu'il ne faut pas faire mais qui reste très allusif sur ce qu'il faudrait faire (ce n'est d'ailleurs qu'à cette condition qu'il peut rester un périodique largement diffusé en dehors de l'Union Nationale). On est donc réduit à penser que du fait qu'il est peu question de l'Allemagne national-socialiste, celle-ci est jugée de manière plutôt positive. Une des seules remarques que nous ayons trouvées sur le régime hitlérien est la suivante, relative à la Nuit des longs couteaux :

Hitler a frappé à la tête, et vite. C'était le seul moyen d'éviter une guerre civile qui eût coûté la vie à des milliers de personnes. Une action judiciaire eût prolongé l'agitation dans le pays. Enfin les traîtres méritent-ils tant de ménagements ? " (6 juillet 1934, page 5, non signé)

Cela mis à part, rien ou presque, comme d'ailleurs il n'y a presque rien sur l'Italie mussolinienne. De ce point de vue, l'analyse de l'Action Nationale est beaucoup plus intéressante.

2.2.2 : L'Action Nationale, organe de l'Union Nationale

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L'Action Nationale est l'organe officiel de l'Union Nationale ; il a été créé en même temps que le parti et succède naturellement au Citoyen, l'organe de l'OPN. Le premier numéro du journal paraît le 25 janvier 1933 et porte en sous-titre : Journal politique et littéraire ; mais dès le numéro deux, le 4 février 1933, le sous-titre change et devient : Journal d'Union Nationale. Son rédacteur en chef, Paul Bonny, sera député au Grand Conseil en 1936; Georges Oltramare collabore activement à la rédaction du journal, de même que Noël Fontanet qui s'occupe des caricatures. Les jeunesses de l'Union Nationale disposent de leur propre organe, La Relève, dont nous ne parlerons pas car pour l'essentiel il reprend les thèses de L'Action Nationale, avec un intérêt plus marqué pour les affaires religieuses ; en outre, il ne parle pas de politique étrangère.

Quelle est l'image donnée de l'Allemagne national-socialiste par L'Action Nationale ?

Dans un premier temps les commentaires sur la situation allemande sont rares. Le 4 mars 1933 un article non signé évoque les conséquences du nouveau régime pour la Suisse :

Le nettoyage hitlérien de l'Allemagne risque d'empoisonner la Suisse, toute une lie fuit le balai de fer des nazis. On nous annonce un arrivage de repris de justice marxistes et de bandits de droit commun communistes

Le 11 mars*, Lucien Cramer écrit un article à propos de l'Allemagne : Le coup de balai ; Hitler est décrit comme le sauveur de l'Allemagne et même de l'Europe :

Il y a tout lieu au contraire de féliciter chaudement le nouvel élu du peuple allemand pour les mesures énergiques que, premier des chefs de gouvernements, il a eu le courage d'appliquer au mal qui ronge l'Europe.

Et en conclusion :

Espérons que le récent élu de dix-sept millions de suffrages allemands, conscient de l'énorme responsabilité qui l'attend, justifiera l'espoir du monde en travaillant dans la mesure de ces forces au rapprochement des nations pour opposer au front commun formé actuellement entre socialistes et communistes, celui de tous les hommes pour lesquels le maintien de l'ordre et de la civilisation a conservé une signification.

Le 18 mars 1933*, paraît un article signé P. B. (probablement pour Paul Bonny), intitulé Est-ce faire de l'antisémitisme ?.... C'est un vibrant plaidoyer judéophobe :

Est-ce faire de l'antisémitisme que de constater que le super-capitalisme est juif, que la finance internationale est juive, que la race juive est prodigieusement armée pour le commerce de l'argent, pour la spéculation la plus monstrueuse et la plus subtile à la fois?

Toutefois l'on ne trouve qu'une allusion au national-socialisme :

Mais, si un étudiant yiddish est bâtonné en Pologne, si des Hitlériens ferment les grands bazars juifs de Francfort, si des patriotes roumains s'avisent de vouloir appliquer le numerus clausus, aussitôt les journaux rouges vocifèrent, les hyènes bolchevistes et les chacals socialistes font entendre un concert de hurlements, discrètement orchestré par les financiers qui mènent le monde et accompagnés en sourdine par une presse vénale et vendue qui crie hypocritement à la guerre de religion...

Le 8 avril 1933, dans la rubrique paraissant à chaque numéro : Ce que les bourgeois ont fait. Pour le marxisme. Contre le marxisme, on trouve encore une fois une allusion à l'Allemagne. Mais comme souvent, il ne s'agit pas d'un éloge de celle-ci mais d'une dénonciation de ceux qui l'attaquent :

La presse bourgeoise continue à répandre les plus grossiers mensonges sur la situation en Allemagne. Des journalistes à tout faire se montrent prêts à sacrifier tout pour le triomphe des Juifs et du marxisme.

C'est encore le cas le 24 juin 1933*, dans un article signé B., et intitulé Les atrocités hitlériennes et...les autres :

Il n'est pas question ici d'excuser les violences ou les persécutions d'où qu'elles viennent, mais il convient de marquer toute l'hypocrisie, toute la bassesse d'une certaine presse tenue en laisse par la finance internationale et asservie par la publicité des grands bazars juifs qui, dans tous les pays, travaillent ouvertement à la ruine des classes moyennes et, par là, des nations elles-mêmes.

La suite est un long réquisitoire contre les marxistes, les francs-maçons, les Juifs, contre la Révolution française, contre la laïcité de l'Etat, etc. A plusieurs reprises ce qui se passe en Allemagne est montré comme un moindre mal. Il est cependant un peu étonnant de voir Lucien Cramer défendre l'Allemagne ainsi, quand on sait le peu de sympathie que les nationaux-socialistes avaient pour les Eglises, et quand on sait à quel point Lucien Cramer est partisan d'un christianisme pur et dur (voir par exemple son ouvrage au titre évocateur : Christianisme ou bolchevisme ? 49).

En 1934 il est encore question de l'Allemagne, sous la plume de Georges Oltramare. La première fois, le 1er juin, sous le titre Former des chefs, il propose de s'inspirer de ce qui s'est fait en Italie et en Allemagne :

Les grands mouvements nationalistes, en Italie et en Allemagne, ont pu se développer grâce au souci qu'avaient Mussolini ou Hitler de former les meilleures têtes à l'exercice de l'autorité. Nous n'avons pas à imiter ce qui se fait en Allemagne, c'est entendu. Mais quel est le patriote qui pourrait soutenir que ce ne sont pas là de fortes et émouvantes paroles et que ces conseils ne sont pas excellents ?

La deuxième fois, dans un article intitulé L'Union Nationale et l'étranger, paru le 7 juillet, Georges Oltramare répond aux critiques émanant des radicaux. En effet ceux-ci se demandent si l'Union Nationale veut faire de la Suisse un pays comme l'Allemagne, récent théâtre de la Nuit des longs couteaux. Oltramare se refuse à répondre, il ne veut pas dire s'il approuve ou non les méthodes hitlériennes, mais il contre-attaque :

Avec le concours des ouvriers, Mussolini et Hitler ont lutté victorieusement contre les parasites. C'est assez pour qu'on leur rende hommage.Les radicaux nous demandent si nous approuvons le bain de sang que vient de prendre l'Allemagne, ces suicides forcés, ces exécutions sans jugement, l'assassinat de chefs catholiques, et si nous persistons à vouloir remplacer notre régime suisse par celui-là. Nous demandons à notre tour aux radicaux s'ils approuvent le bain de sang du 6 février, les suicides forcés de Stavisky et de Prince, les exécutions par crainte de jugement et les assassinats maçonniques ? Les régimes autoritaires nécessitent parfois des châtiments foudroyants et atroces. Mais les vieilles démocraties pourries s'accommodent fort bien des complots ténébreux, des meurtres camouflés et de l'impunité des coupables. Nous n'avons pas à imiter l'étranger. Le fédéralisme saura bien nous protéger contre les excès des dictatures, et le corporatisme, à lui seul, réussira à nous délivrer de l'illusion démocratique.

Nous voyons, par ces quelques citations tirées de L'Action Nationale entre 1933 et 1934, que ce journal, de manière générale et à l'exception de Lucien Cramer, ne fait pas l'apologie de l'Allemagne, mais que d'un autre côté il réfute les accusations lancées contre ce pays. C'est une attitude un peu ambiguë, une approbation qui ne dit pas vraiment son nom.

Constatons aussi que la politique étrangère y tient une place très mince, au contraire de la politique genevoise. D'ailleurs, le 25 mars 1933, dans un article intitulé A nos lecteurs, la rédaction semble s'excuser d'avoir traité de politique internationale :

Nous avons consacré plusieurs articles à la politique internationale, parce que les événements nous y ont forcé. [...] Il convenait de saluer les victoires du nationalisme dans le monde. (page 1)

En effet, les premiers numéros ne traitent pas de l'Allemagne; et quand le journal commence à en parler, on ne peut guère voir d'enthousiasme à l'égard du mouvement national-socialiste. C'est plutôt la circonspection qui l'emporte (4 mars 1933, Les élections allemandes, H. S.) devant l'immense désordre que semble être devenu ce pays. Hitler n'est pas considéré comme une personnalité qui sort du lot: il est temporairement chancelier, comme ses prédécesseurs, et l'agitation rouge est des plus redoutables. Il semble aussi que pour les journalistes de L'Action Nationale Hitler soit l'otage des aristocrates réactionnaires. Mais cette attitude va changer assez vite, au fur et à mesure que Hitler prend des mesures énergiques et qu'il semble se détacher de la tutelle du président et du vice-chancelier. Parallèlement les positions se radicalisent rapidement concernant d'autres sujets; le Japon est chaudement approuvé dans sa campagne expansionniste en Extrême-Orient 50, l'antisémitisme s'affiche dès le 25 février et devient un thème récurrent (même si dans un premier temps il cède le pas à l'anti-marxisme et à l'antimaçonnisme). Cet antisémitisme va prendre de l'importance avec le boycott du 1er avril. Dans ce conflit, L'Action Nationale prend ouvertement parti pour le régime hitlérien et contre les Juifs. Pourtant, encore à cette période, L'Action Nationale peut dénoncer les spéculateurs et les grands distributeurs sans référence aux Juifs; le grand capital n'est donc pas un mal répandu forcément par les Juifs.

Le désintérêt pour la politique allemande, dans un premier temps, doit probablement être expliqué, en grande partie, par la germanophobie latente des milieux d'extrême droite proches de la France. Il ne faut pas oublier les références des doctrinaires de l'Union Nationale: le marquis de la Tour du Pin, Léon Daudet (10 février 1934, p.4) et Pierre Gaxotte (dont les articles de Je suis partout sont repris et commentés à plusieurs reprises). Evidemment, Charles Maurras est aussi une référence obligée, et le 2 décembre 1933, L'Action Nationale reprend un de ses articles parus dans L'Action Française du 29 novembre, où il déclare :

Trait significatif: le succès révolutionnaire [élections au Conseil d'Etat] a été appuyé par un agent du germanisme que nous avons souvent dénoncé ici, M. William Martin. (La situation à Genève vue par Charles Maurras, page 2)

Du fait qu'Hitler, pendant quelques semaines, apparaisse presque unanimement comme l'instrument de la restauration des Hohenzollern, il ranime contre lui le nationalisme français contre l'ennemi héréditaire; à partir du moment où il commence à réaliser son programme d'extrême droite révolutionnaire, nationaliste, antimarxiste et judéophobe, son image se transforme et devient plus positive. Toutefois cela ne fait pas augmenter le nombre d'articles consacrés à l'Allemagne: ce nombre est proche de zéro entre mai 1933 et juin 1934 : le régime hitlérien n'est pas traité en tant que tel mais par de brèves allusions relatives à un problème particulier (antisémitisme, nationalisme, principe du chef). C'est d'ailleurs un peu la même attitude qui prévaut à l'égard de l'Italie ; en fait le journal ne parle que peu de ce qu'il admire, mais il parle constamment de ce qu'il déteste.

A cet égard il utile de faire une rapide comparaison avec l'Italie et l'URSS; Mussolini a droit à de vibrants éloges et l'Italie est traitée plus fréquemment que l'Allemagne. Le régime mussolinien suscite une réelle admiration pour ce qu'il réalise alors que l'Allemagne attire une vague sympathie pour ce qu'elle détruit (marxisme, parlementarisme, judéo-ploutocratie, maçonnisme). Quant à l'URSS elle est la préoccupation principale de L'Action Nationale en matière de politique étrangère: un, voire plusieurs articles lui sont consacrés chaque semaine, qui dénoncent sur tous les tons la barbarie bolcheviste ou reproduisent des témoignages plus ou moins fantaisistes, mais toujours catastrophistes, sur la situation en URSS. Ce pays est également copieusement dénoncé dans toutes ses actions au plan international: entrée à la SN, menées subversives de la IIIème Internationale, etc. Les volumes respectifs consacrés à l'Allemagne et à l'URSS sont presque sans comparaison.

Il nous faut encore citer ce qu'a écrit un auteur qui connaît très bien l'Union Nationale, Roger Joseph :

Sur l'Allemagne nazie, les opinions divergeaient au sein du mouvement. Celle qui finit par prévaloir, au moins dans L'Action Nationale, fut évidemment celle du rédacteur en chef, nettement favorable au national-socialisme. Sous l'influence de Bonny, le journal donna de l'UN l'image d'un mouvement partisan du régime hitlérien, voire, pour certains, inféodé à celui-ci." 51

Nos conclusions pourraient sembler contredire quelque peu cette assertion ; mais l'étude de Roger Joseph couvre une période plus longue et il n'est pas impossible que l'Action Nationale se soit progressivement radicalisée et soit devenue plus proche du national-socialisme, alors que dans un premier temps, nous l'avons dit, c'est plutôt la circonspection qui l'emportait.

2.2.3 : Autres périodiques d'extrême droite et feuilles éphémères

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L'extrême droite s'est également exprimée par d'autres périodiques que le Pilori et l'Action Nationale. Il faut mentionner la Liberté Syndicale, hebdomadaire fondé en 1933, qui est l' Organe des Syndicats chrétiens et des Sections ouvrières de la Fédération Genevoise des Corporations. Il représente donc la base des corporations genevoises, par opposition à l'Ordre Professionnel, qui en représente le sommet. Parmi les collaborateurs de la Liberté Syndicale, on compte Henri Berra, qui rédige les éditoriaux, René Leyvraz, Henri Schubiger, Max-Marc Thomas et Noël Fontanet. A partir du 1er septembre 1935, René Leyvraz assume le poste de rédacteur en chef suite à son éviction du Courrier de Genève. De manière générale la Liberté Syndicale s'occupe très peu de politique étrangère ; une exception toutefois : le meurtre du chancelier Dollfuss. A cette occasion les nationaux-socialistes sont vivement dénoncés ; il faut dire que Dollfuss représentait l'idéal politique du journal, par son catholicisme d'une part, et d'autre part parce qu'il avait fait de l'Autriche un pays où la corporation jouait un rôle central. Sur l'Allemagne on ne trouve presque rien, excepté un article d'Henri Berra qui revient d'un voyage de dix jours dans ce pays. Bien qu'il prétende que le nouveau régime a du pour et du contre, il s'étend longuement sur le premier et pas du tout sur le deuxième. Le pour, pense Henri Berra, c'est essentiellement la baisse du chômage obtenue par le remplacement des femmes et des jeunes par des ouvriers mariés. En tous cas pour lui le cas allemand est susceptible d'être pris en exemple par Genève et la Suisse, puisque son article se conclut ainsi :

Il va sans dire que l'ensemble de ces mesures sont accueillies avec faveur par l'ensemble des masses allemandes, qui ont beaucoup souffert et qui sont mieux préparées que d'autres peuples à cet acte d'obéissance, de discipline massive. Tout compte fait, ne serait-il pas utile que la Suisse, que Genève, où le chômage cause tant de ravage, étudient attentivement le programme de lutte contre le chômage établi par le gouvernement allemand ? ( Un peuple au travail, 1er septembre 1933, pages 1 et 2)

Dans la même ligne, on peut citer un autre extrait d'un article rédigé par Henri Berra, pour la Sentinelle de Genève, journal Edité par le Parti Indépendant et Chrétien-social :

Les commerçants doivent s'organiser dans leur métier. DANS LEURS CORPORATIONS. Cette organisation corporative, nous en avons la certitude, les sauvera en Suisse, à Genève, comme elle est en voie de les sauver en Italie, en Allemagne. (Commerçants, voici notre programme, octobre 1933, page 5)

Il semble donc qu'Henri Berra soit tombé dans le champ magnétique des fascismes pour ce qui concerne le corporatisme, un sujet qui l'obsédait. Car à part ça, dans ses articles Henri Berra ne s'occupe que des modalités pratiques des corporations à Genève, au monde du travail, mais pas de doctrine politique. En revanche ce rôle de doctrinaire est pleinement assumé par René Leyvraz qui se montre beaucoup plus combatif et ardent que Berra. Il ose également écrire quelques pamphlets particulièrement violents qu'il n'aurait sans doute pas pu faire passer dans le Courrier. A titre d'exemple, voici un extrait d'un article intitulé Le siècle de l'argent s'effondre dans l'ordure, paru le 12 janvier 1934 en page une :

Le siècle de l'argent s'effondre dans l'ordure. Digne fin de cette chiennerie engendrée par une bourgeoisie laïque et libérale qui a trahi le Christ pour courir librement aux trousses du profit. Elle a chassé de ses affaires la morale chrétienne. Crochée aux jupes de la Veuve, prostituée à la ploutocratie juive, elle a pris, pour arriver à ses fins, les raccourcis les plus scabreux de la flibuste politique et de l'affairisme véreux.

A nouveau, cette attaque contre le libéralisme ne doit pas nous faire croire que Leyvraz est un homme proche de la gauche ; en effet, à propos de celle-ci, il écrira dans le même journal, le 23 mars 1934* :

Reste la garde rouge, espoir suprême et suprême pensée : la Section Française de l'Internationale Ouvrière (S.F.I.O.) pilotée à coup de gaffes par le juif Léon Blum. Dernier appât offert à la crédulité du peuple. Tranchée ultime de la duperie démagogique. (Qui sauvera la France ?, page 1)

On peut donc conclure, à propos de la Liberté Syndicale, que, malgré sa volonté de se placer au-dessus des clivages politiques, elle a été indiscutablement attirée par les champs magnétiques du fascisme car seul celui-ci à réaliser le système corporatif. Le modèle politique correspondant le plus aux opinions exprimées dans le journal est vraisemblablement l'Autriche, plus que l'Italie, parce que le christianisme y joue un rôle plus important. Quant à l'Allemagne elle attire et fait peur à la fois, et elle se discrédite un peu par sa politique extérieure agressive et surtout par l'action des nationaux-socialistes en Autriche.

L'Ordre Professionnel, comme l'indique son sous-titre, est l'Organe des groupements patronaux affiliés à la Fédération Genevoise des Corporations. Ce journal, fondé en 1933, est un mensuel. L'éditeur-responsable en est Pierre Regard et y collaborent Max d'Arcis, René Leyvraz, Max-Marc Thomas et Noël Fontanet ; on note aussi quelques articles d'Albert Picot, alors Conseiller d'Etat. Ce journal est complètement tourné vers la propagation des corporations : c'est le thème principal et presque unique. Il n'y est pour ainsi dire pas question de politique étrangère, et quand il en est question c'est en référence à la situation des corporations dans un pays donné (l'Italie de Mussolini et l'Autriche de Dollfuss). Ce périodique semble moins extrémiste que la Liberté Syndicale, dont il se rapproche par son corporatisme et par ses collaborateurs. On y trouve peu d'antisémitisme et d'anti-maçonnisme ; en quelque sorte l'Ordre professionnel semble plus proche des bourgeois ralliés à un certain corporatisme que du fascisme proprement dit.

Il faut encore parler de Réaction, organe de l'Ordre Politique National. A la fin de 1932, l'OPN se scinde en deux : une tendance, celle de Georges Oltramare, qui va fusionner avec l'UDE pour constituer l'Union Nationale, et une autre, amenée par J.-E. Gross qui garde le nom d'Ordre Politique National. En effet, depuis quelque temps déjà, les deux leaders s'opposent violemment (voir Le Pilori, Gross et les valeurs spirituelles, 3 juin 1932*). Ce deuxième OPN sera très loin de connaître le succès de l'Union Nationale, et Réaction a dû avoir une diffusion plutôt confidentielle ; d'ailleurs, ce périodique, théoriquement mensuel, paraîtra en fait de manière plutôt erratique jusqu'en 1935, date à laquelle il disparaît. La thèse dominante de J.-E- Gross, c'est l'antisémitisme : pour lui les Juifs sont la cause première de tous les maux : marxisme, maçonnisme, libéralisme et athéisme. Ainsi le slogan Pour punir Hitler les Juifs préparent la guerre devient un leitmotiv de Réaction. De plus il fait également preuve d'un violent racisme. L'OPN est donc d'un extrémisme plus intransigeant que l'Union Nationale, celle-ci étant prête à des compromis pour des raisons de tactique politique (alliance électorale avec les partis de droite). Quant à l'image donnée de l'Allemagne national-socialiste, on ne saurait en dire grand-chose puisque le sujet n'est pour ainsi dire pas traité ; cela dit, il est évident que Gross approuve Hitler dans sa lutte contre les Juifs, de même qu'il approuve Mussolini pour ses tentatives de colonisation. Il souhaite d'ailleurs que tous les peuples non-Blancs soient réduits en esclavage, de manière à accroître la richesse des Blancs (voir par exemple La honte blanche de la S.d.N. trahit l'Europe au profit de la honte noire d'Afrique, 18 septembre 1935*).

Le reste des publications d'extrême droite ne présente aucun intérêt pour notre travail, que ce soit l'Anti-maçon (un seul numéro, le 24 novembre 1937, à propos de l'initiative populaire pour l'interdiction de la franc-maçonnerie), L'Homme de droite (et L'Homme du Peuple qui lui succède), Organe de lutte contre la juiverie et la franc-maçonnerie dirigé par Henri-Louis Servettaz, qui applaudi des deux mains les persécutions antisémites en Allemagne, la Dernière cartouche, Journal militaire, qui ne semble avoir eu que deux parutions, le Réveil Helvétique, organe du Front National, ou encore la Sentinelle de Genève, que nous avons citée à propos d'Henri Berra. En fait, tous ces périodiques ont eu des vies assez courtes, sans aucun doute par manque de lecteurs et par manque d'unité au sein de cette tendance politique. Mais, d'autre part, cela témoigne d'une intense activité à l'extrême droite, une intense activité qui va bien au-delà du printemps des fronts comme a été fréquemment baptisé le printemps 1933.

Pour conclure à propos de la presse d'extrême droite, on peut dire qu'elle ne semble pas avoir eu beaucoup d'intérêt pour la politique étrangère. Pour ce qui est de la politique intérieure, il est clair que plusieurs régimes étrangers ont servi de modèle : l'Autriche, l'Italie et l'Allemagne (par contre le Portugal est complètement ignoré, exception faite d'un éditorial du Courrier de Genève du 6 avril 1933, intitulé Salazar, signé René Leyvraz et largement favorable au régime). L'Autriche fut un modèle pour ceux qui désiraient un régime profondément inspiré de christianisme et de corporatisme, l'Italie a séduit ceux qui voulaient un régime autoritaire et nationaliste et ceux qui, nombreux à Genève comme en France, étaient attirés par la civilisation latine par opposition à la civilisation germanique ; enfin l'Allemagne a séduit ceux qui en admiraient la violence et la brutalité, et qui faisaient passer leur antisémitisme et leur antimarxisme avant leur germanophobie.

Nous voyons donc trois raisons au silence de la presse d'extrême droite sur l'Allemagne national-socialiste ; premièrement ces journaux sont au mieux des hebdomadaires : il est normal qu'il se soucient moins des secousses de l'événement. Ensuite, l'extrême droite a adopté un profil assez bas vis-à-vis de ce qui se passait en Allemagne, parce qu'une approbation ouverte aurait effrayé ses alliés électoraux, surtout en ce qui concerne l'Union Nationale. Il était donc plus prudent de se limiter à dénoncer sans relâche les marxistes, les Juifs et les francs-maçons. Enfin, il faut reconnaître que l'Allemagne national-socialiste n'a jamais joui du même prestige que l'Italie fasciste ; la raison principale en est sans aucun doute une germanophobie diffuse dans toute la population, une germanophobie issue en dernier lieu de la Première guerre mondiale. A cet égard les Genevois, et sûrement les Suisses romands dans leur ensemble, se sentent proches de la France. D'ailleurs, si l'on regarde les sources d'inspiration de l'extrême droite genevoise, c'est-à-dire les auteurs qui sont cités, il s'agit essentiellement d'auteurs français et même maurassiens : Maurras lui-même, qui sera invité par l'Union Nationale en 1937 pour une conférence au Victoria Hall, Léon Daudet, Pierre Gaxotte, etc. En outre l'extrême droite suisse romande a été effrayée par l'hitlérisme de certains fronts alémaniques 52, raison pour laquelle les alliances entre extrêmes droites romande et alémanique ont été rares et fragiles.

Le cas de Georges Oltramare, collaborant de 1940 à 1944 avec l'occupant en France, est un cas isolé, et de plus il n'a pas sa source dans une admiration de toujours pour Hitler, mais peut-être plutôt dans une déception : déception vis-à-vis de Mussolini qui lui retire ses subventions 53.

2.3 : La gauche face à l'Allemagne national-socialiste

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2.3.1 : Le Travail, organe du Parti socialiste

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Le Travail est l'organe du Parti socialiste genevois (PSG) ; Léon Nicole, président du Parti est aussi le fondateur (en 1923) et le rédacteur en chef du quotidien. De 1919 à 1941 il est également député au Conseil National. Le contenu du journal ne peut être compris qu'à partir de la situation très particulière de la gauche à Genève. Alors qu'en 1920/1921 le triomphalisme de Lénine et de la IIIème Internationale fait éclater presque toutes les gauches du monde en partis socialistes et partis communistes, ces derniers acceptant les vingt et une conditions pour adhérer à l'Internationale communiste, à Genève la dissidence communiste est très faible 54. Cela ne veut d'ailleurs pas dire que le communisme et l'URSS aient mauvaise presse, comme nous le verrons. Nous avons déjà parlé, dans le chapitre consacré à la presse radicale, de l'alliance électorale qui a lié radicaux et socialistes jusqu'en 1927. Le Parti socialiste genevois s'étant radicalisé, c'est-à-dire s'étant éloigné du radicalisme, il va désormais seul aux élections, sans l'appui du petit Parti communiste (dont nous regarderons l'attitude au chapitre consacré à la presse d'extrême gauche). Pour la période qui nous concerne, le PSG est le premier parti genevois avec 45 députés au Grand Conseil après les élections de l'automne 1933.

Du fait que le PSG s'étend du centre jusqu'à la lisière de l'extrême gauche, il est le siège de différents courants. En gros le Parti socialiste genevois peut être divisé en deux tendances : l'une de droite, réformiste et syndicaliste, à laquelle appartiennent Charles Rosselet ou André Oltramare 55, l'autre de gauche, développant un discours révolutionnaire et franchement philosoviétique, à l'exemple de Charles Dicker et Léon Nicole ; ce dernier fera d'ailleurs son pèlerinage à Moscou en 1939 56. Cette attitude "à cheval" du Parti socialiste a l'avantage d'éviter l'éclatement de la gauche, mais il provoquera de fortes tensions entre socialistes genevois et socialistes suisses (jusqu'à la rupture de 1939 57). D'autre part l'influence croissante de l'aile gauche du Parti socialiste genevois provoque un affaiblissement du centre de l'échiquier politique genevois, car elle fait éclater la coalition radicale-socialiste, provoquant le glissement du Parti radical vers la droite. Il est permis de penser qu'à défaut de cette radicalisation du PSG, Genève aurait pu trouver un équilibre au centre et éviter la polarisation politique qui a eu lieu. Mais d'autre part, si la coalition radicale-socialiste avait perduré, l'extrême-droite aurait peut-être formé un bloc plus homogène et plus puissant, avec l'appui d'une bonne partie du Parti indépendant chrétien-social et une fraction du Parti démocrate, au lieu d'une neutralisation partielle de l'Union Nationale par le reste de l'Entente.

Le Travail est d'un style incisif, agressif et d'une partialité assez étonnante pour un journal qui se dit socialiste ; toutefois cette impression est probablement due au fait qu'au cours des soixante dernières années les socialistes ont glissé à droite, selon le schéma décrit par René Rémond 58. Ils sont passés de l'extrême gauche, de la lutte des classes, à une gauche bourgeoise prônant une économie de marché tempérée par l'Etat. Cela explique en partie l'étonnement que nous avons ressenti à la lecture du Travail ; d'autre part le PSG est incontestablement très à gauche par rapport au Parti socialiste suisse. Quoi qu'il en soit, dans Le Travail, l'URSS est systématiquement dépeinte sous des couleurs éclatantes, et à le lire il n'est pas douteux que les prophéties marxistes y aient trouvées leur accomplissement dans une orgie productiviste et industrielle, pour le plus grand bonheur de la classe ouvrière (voir la rubrique à peu près hebdomadaire Petites nouvelles d'URSS (ou A Léningrad*).

Qu'en est-il de l'attitude du Travail face à l'Allemagne national-socialiste ?

Dans les premiers jours de février, Le Travail ne semble pas accorder une importance particulière au nouveau cabinet présidé par Hitler. Pour les rédacteurs il s'agit de toute façon d'un gouvernement manipulé par les Hohenzollern et le grand capital. Le 24 février, cette analyse prévaut encore au Bureau de l'Internationale Ouvrière Socialiste puisqu'un communiqué de celui-ci, reproduit par Le Travail, déclare :

Allié à la réaction du grand capital et de la féodalité, Hitler a pris le pouvoir en Allemagne.

Le 11 mars 1933, un article signé L. N., c'est-à-dire Léon Nicole, et intitulé Pour l'unité ouvrière et contre la guerre, lance un appel pour l'unité entre socialistes et communistes au regard de ce qui s'est passé en Allemagne. En effet la division de la gauche a servi le national-socialisme, d'autant plus que

[...] ; on voit d'autre part la bourgeoisie capitaliste de divers pays d'Europe prendre d'instinct position pour le fascisme sanguinaire.

En conclusion l'auteur lance encore un appel aux deux Internationales :

Les ouvriers socialistes attendent des deux exécutifs des deux Internationales autre chose que des appels et des thèses qui ne sont que de lamentables polémiques. Ce qu'ils veulent, ce sont des directives claires et précises mettant toutes les forces ouvrières en mouvement, contre le fascisme et contre la guerre - sous le signe de l'unité de toutes les organisations se réclamant du socialisme et de tous les hommes à l'esprit libre et humain.

Ce thème sera d'ailleurs repris par P. Golay le 28 mars 1933, quand il attribue la faute de l'arrivée au pouvoir du fascisme en Italie et en Allemagne à la division de la gauche d'une part, et d'autre part au refus de la gauche de collaborer avec les bourgeois contre le fascisme.

On peut aujourd'hui, sans blâmer quiconque, se demander si les camarades n'eussent pas été mieux inspirés en taisant des préoccupations dogmatiques devant la nécessaire action du salut de la démocratie, même bourgeoise. Ainsi, une fois de plus, s'avère efficace le bon sens qui invite les hommes politiques et les partis à couler leur action dans le cadre des nécessités du moment. (page 1, Fascisme et hitlérisme)

On le voit, certains socialistes prônent le pragmatisme, et donc l'alliance avec les communistes genevois, mais ces derniers s'y opposeront jusqu'au printemps 1934, non pas par conviction mais parce que le Komintern s'y refuse 59.

Autre point remarquable, Le Travail s'étend en long et en large sur les différents cas particuliers de persécutions dont sont victimes socialistes, syndicalistes et communistes ; cette attitude rappelle fortement celle de l'extrême droite face à l'URSS, quand elle s'étend longuement, à coups de témoignages douteux si non fantaisistes, sur les horreurs au pays des Soviets. Mais, à côté des ces nouvelles terrifiantes, il est toujours rappelé que la lutte des ouvriers allemands, loin d'être terminée, ne fait que commencer, et qu'ils prendront sans doute bientôt leur revanche. Par exemple le 24 mars 1933, sous le titre Billet d'Allemagne. Le terrorisme continue - signé B... au début de l'article et X. à la fin - on peut lire :

En dépit de ce terrorisme, avec une abnégation sans borne, les militants ouvriers du rang continuent leur action de propagande et s'emploient à constituer un front unique de combat des travailleurs manuels et intellectuels contre l'immonde barbarie fasciste. Tout espoir n'est pas perdu. Loin de là.

En ce qui concerne l'antisémitisme, nous constatons la même chose que pour les autres journaux, à savoir que ce sujet ne vient sur le devant de la scène qu'à la fin mars 1933, au moment du boycott national en Allemagne. C'est le 18 mars 1933* que le Travail publie son premier éditorial sur les persécutions en Allemagne, intitulé Alerte aux Hébreux et signé de l'initiale E. D'abord celui-ci constate que les Juifs ne sont que des boucs émissaires servant à détourner l'attention :

Les véritables responsables des drames économiques ou politiques ont rejeté sur Israël tous les crimes dont ils s'étaient eux-mêmes rendus coupables.

Ensuite ce rédacteur constate que les Juifs sont crédités d'une puissance qu'ils n'ont pas :

Et les Juifs, que l'on prétend si puissants, ne réagissent point. Leur puissance est donc toute fictive, et elle n'a fait que servir d'épouvantail. A ses crimes innombrables, le capitalisme occidental ajoute un crime nouveau, le plus honteux, le plus ignoble, puisqu'il lance contre des gens désarmés une plèbe avide de carnage.

Enfin Georges Oltramare est assimilé au nouveau cabinet allemand, de manière à le discréditer :

L'action antisémite du sieur Oltramare, pour ridicule qu'elle ait paru, et pour singulier qu'en semblassent les mobiles, n'en a pas moins marqué une phase nouvelle de l'agitation réactionnaire en Suisse. Israël n'a qu'à bien se tenir. Le capitalisme helvétique n'hésitera point, le moment venu, à user des méthodes qu'emploie l'hitlérisme.

Mais à part cet article, les dénonciations des persécutions antisémites sont plutôt rares : ce n'est en aucun cas un thème de prédilection pour le quotidien socialiste.

Au cours des mois suivants, l'image donnée de l'Allemagne ne change pas ; le quotidien socialiste publie fréquemment -presque tous les jours - de courts articles sur la situation en Allemagne. Leurs titres en indiquent déjà le contenu ; ceux qui reviennent le plus souvent sont En Hitlérie, Sous le signe de la croix gammée, Sous la botte des nazis, etc. La dénonciation du régime est sans équivoque, toutes ses réalisations sont jugées mauvaises. Par rapport aux autres périodiques, Le Travail met surtout l'accent sur les difficultés économiques de l'Allemagne, qui à l'en croire est prise dans un véritable cataclysme. Ces nouvelles catastrophiques contrastent singulièrement avec celles sur l'URSS. Il y a tout de même un point sur lequel les rédacteurs du Travail ne sont pas en complète opposition avec l'Allemagne, c'est sa politique étrangère. On peut en juger lors du retrait de l'Allemagne de la Société des Nations, en octobre 1933 ; un retrait qui est d'ailleurs passé presque inaperçu dans Le Travail, signe évident du désintérêt à l'égard de cette institution. Bien sûr, le militarisme de l'Allemagne est vivement dénoncé et le journal publie régulièrement des rumeurs sur le réarmement allemand, annonçant au passage une guerre prochaine. Mais pour les socialistes genevois l'Allemagne a au moins le mérite de la franchise ; de plus les traités de 1918 et 1919 sont considérés comme les causes du mal : ce sont donc surtout la France et la Grande-Bretagne qui portent la responsabilité de cette situation. Les socialistes ne dénoncent donc pas une Allemagne éternellement guerrière, ils dénoncent avant tout des régimes bourgeois et impérialistes à la botte des munitionnaires.

Face à la Nuit des longs couteaux, l'attitude du Travail est originale ; non pas dans les trois ou quatre premiers jours, où l'on peut lire la même chose que dans les autres journaux (à savoir une avalanche de dépêches contradictoires). Mais dès le 4 juillet*, dans un article signé Y.A., ce correspondant spécial exprime ses doutes profonds sur la thèse du complot contre Hitler ; pour lui, la liquidation des chefs de la S.A. visait, premièrement, à se débarrasser des nazis déçus de pas voir arriver la deuxième révolution, et deuxièmement, à faire un geste en direction des puissances européennes qui s'obstinaient, dans les négociations sur le désarmement, à vouloir compter les S.A. comme des militaires. Sans doute ce correspondant a-t-il un préjugé contre le national-socialisme, mais en l'occurrence cela l'amène à mieux cerner les véritables motifs d'Hitler alors que tant d'autres sont passés à côté parce qu'il avaient sous-estimé le machiavélisme du Führer.

Le 24 juillet 1934, dans un article non signé intitulé Les conséquences des événements d'Allemagne pour la classe ouvrière, l'auteur convient que La terreur fasciste qui sévit en Allemagne depuis plus de dix-huit mois a décimé la classe ouvrière allemande à un tel point qu'elle ne fut pas capable d'agir au moment où une clique fasciste démolit l'autre. Mais son article se conclut sur une vision plus optimiste :

De même que la victoire du fascisme en Allemagne consolide la position de la bourgeoisie du monde entier, la crise actuelle du fascisme allemand affaiblit la bourgeoisie internationale, c'est-à-dire la réaction. Il faudra encore un effort immense, très dur et aride pour que la classe ouvrière allemande retrouve sa puissance d'action et renverse le système de Hitler. Mais un futur historien remarquera certainement que c'est le 30 juin qui indique le point de départ, la préface de cette époque à venir.

Cet historien, on l'attend encore...

Quant aux autres événements de l'été 1934, on constate qu'ils sont peu traités. Le meurtre du chancelier Dollfuss entraîne la parution d'un nombre assez considérable de dépêches, mais fait beaucoup moins l'objet d'éditoriaux que la Nuit des longs couteaux. La mort de Hindenburg provoque encore moins de réaction.

Le Travail a donc donné une image entièrement négative de l'Allemagne national-socialiste, ce qui ne saurait nous surprendre. Par contre les informations diffusées ne sont pas toujours très sérieuses, et une place importante est faite aux rumeurs. Par exemple, Göring, le pyromane, est souvent l'objet de petits articles annonçant qu'il est en cure de désintoxication pour soigner sa morphinomanie ou qu'il est interné dans un asile psychiatrique parce qu'il est devenu fou.

D'autre part, en lisant Le Travail, il pourrait sembler que l'humanité n'a que deux possibilités : soit sombrer dans le fascisme et donc dans la guerre et la misère, soit adopter un régime de type soviétique et donc se rapprocher tous les jours un peu plus du paradis. En effet la majorité des articles de politique étrangère concernent soit l'URSS soit l'Allemagne. Quant à l'Italie, qui est mise sur pied d'égalité avec l'Allemagne, elle occupe une place beaucoup moins importante.

2.3.2 : La Bise : un anti-Pilori

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La Bise, Pamphlet paraissant à Genève tous les quinze jours, a eu une courte existence. Née au début de l'année 1932, elle s'éteint à la fin de 1933, au moment où le nouveau gouvernement à dominante socialiste se met en place. La Bise semble être une émanation du Parti socialiste genevois, puisqu'Emile Unger en est le directeur responsable, que la rédaction et l'administration sont situées 11, rue Pradier et que le journal est imprimé par les Imprimeries Populaires. Ce périodique semble avoir été conçu comme un anti-Pilori : même format, première page entièrement occupée par un dessin caricatural (signé R. Mann), même mise en page. Cela ne peut passer pour une coïncidence ; le parti socialiste genevois a probablement essayé de battre l'extrême droite sur son terrain. Il est vrai que le Pilori a amené des sympathisants à l'Union Nationale par le biais de l'humour qui, indéniablement, émane des caricatures de Noël Fontanet et de la plume faite pour le pamphlet politique de Georges Oltramare. La Bise fut un journal satirique de bonne qualité, mais il ne dura pas très longtemps. Comme l'arrêt de la publication a lieu presque en même temps que l'élection de quatre socialistes au Conseil d'Etat, en décembre 1933, il est possible que ceci soit la cause de cela, c'est-à-dire que les socialistes, étant devenu un parti gouvernemental, aient trouvé un peu gênant d'être lié à ce journal satirique.

Quant à l'image donnée du national-socialisme dans La Bise, nous nous heurtons au problème commun à tous les journaux satiriques : les opinions sont toujours exprimées de manière indirecte. En effet, tout les sujets sont traités sur le mode de la caricature, tout est systématiquement exagéré jusqu'au ridicule, à l'absurde. En l'occurrence, il est seulement possible de relever quelques thèmes de prédilection sur lesquels les rédacteurs aiment appuyer. Il s'agit surtout des camps de concentration, du militarisme et de racisme aryen ; du côté des dirigeants nazis, seuls Hitler et Goebbels sont tournés en dérision, les autres restant ignorés. Les rédacteurs de La Bise se servent également du contre-exemple allemand pour discréditer le gouvernement genevois, comme par exemple le 24 février 1933* (Une lettre d'Hitler (Adolphe) au Conseil d'Etat genevois).

2.4 : L'extrême gauche face à l'Allemagne national-socialiste

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2.4.1 : Le Drapeau Rouge et La Lutte, organes du Parti communiste

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Le Drapeau Rouge est l'Organe du Parti communiste suisse pour la Suisse romande; son rédacteur en chef est Jules Humbert-Droz ; Jean Vincent 60 collabore également au Drapeau Rouge, bien que pour la période qui nous concerne il fut souvent absent de Genève car l'Internationale Communiste l'avait chargé de missions spéciales à l'étranger (notamment en Chine et en Allemagne). Le Drapeau Rouge paraît toutes les deux semaines jusqu'au 27 février 1932, date à laquelle il devient hebdomadaire. Il comprend des rubriques comme En Russie des Soviets (ou La semaine en URSS), La Vie des Travailleurs (ou Correspondance ouvrière) qui sont des nouvelles concernant la Suisse romande ; la dernière page est d'abord consacrée au Jeune Travailleur, organe des Jeunesses communistes, avant de devenir Le coin des Jeunes. A partir du 1er mai 1934 le Drapeau Rouge est remplacé par La Lutte. Les deux journaux sont publiés par l'Unionsdrückerei de Zürich. Signalons encore l'existence éphémère de Classe contre classe, Organe du PC suisse pour Genève, paraissant selon les nécessités ; les nécessités semblent avoir été plutôt rares puisqu'il n'y eut qu'un seul numéro, le 18 février 1933.

Pour le Parti communiste suisse, et genevois, la période qui nous concerne est assez troublée 61. En effet le Parti est l'objet de remaniements constants ordonnés depuis Moscou par le Komintern, de manière à ce qu'il se plie à la ligne politique de la IIIème Internationale fixée entre 1928 et 1929. Cette ligne politique, symbolisée par le slogan " classe contre classe ", ne fait pas que des adeptes en Suisse ; Jules Humert-Droz, l'un des plus hauts dirigeants du Parti, s'y oppose, raison pour laquelle il est, pour la deuxième fois, écarté de la direction nationale du Parti le 15 août 1932 62. Toutefois il reste en charge des sections suisses romandes, puis suisses italiennes, notamment en ce qui concerne l'agitation et la propagande. En conséquence il reste le rédacteur en chef du Drapeau Rouge. Après les événements du 9 novembre 1932, il est délégué à Genève par l'Internationale communiste, ce qui est sans doute l'une des raisons qui font que le Drapeau Rouge s'occupe plus de cette ville que du reste de la Suisse romande, en plus du fait que l'Internationale a cru déceler une situation révolutionnaire à Genève.

Au cours de l'année 1932, le Drapeau Rouge donne régulièrement des nouvelles de l'Allemagne, des nouvelles qui sont toujours catastrophiques : l'Allemagne serait à la veille du fascisme, Hitler serait en passe de prendre le pouvoir pour écraser le prolétariat allemand alors que les socio-fascistes, comme sont souvent nommés les socialistes, pactisent avec Hindenburg, le moindre mal des socialistes (c'est ainsi qu'ils l'appellent depuis que les socialistes ont donné leur voix à Hindenburg, pour contrer Hitler, aux élections présidentielles du printemps 1932) . Au lendemain des élections au Reichstag du 6 novembre 1932, le Drapeau Rouge publie un article, non signé comme presque tous ses articles, sous le titre : La grande victoire du parti communiste allemand. Le gain de voix obtenu par le KPD est d'autant mieux accueilli qu'il s'est fait aux dépens des socialistes :

Ce succès est directement le résultat de la lutte énergique menée par notre parti frère aussi bien contre les fascistes et les décrets-lois du gouvernement von Papen que contre la politique de trahison et de capitulation de la social-démocratie allemande et des syndicats réformistes.

De novembre 1932 à janvier 1933, il n'est plus beaucoup question de l'Allemagne, surtout du fait que les incidents du 9 novembre à Genève prennent une place très importante.

Le 4 février* le Drapeau Rouge commente l'arrivée au pouvoir de Hitler. L'auteur de l'article met évidemment la faute sur les sociaux-traîtres ; cependant il annonce que le Parti communiste va mener une contre-attaque virulente :

Le prolétariat révolutionnaire allemand n'est pas en retraite, il attaque, le parti communiste vient de lancer le mot d'ordre de grève générale contre le gouvernement fasciste; si les chefs réformistes ne réussissent pas encore une fois à trahir le mouvement de masse, l'action formidable, disciplinée mais résolue et hardiment révolutionnaire de la classe ouvrière, unie sous la direction du Parti communiste en un formidable front unique de lutte peut amener la chute rapide de ce pouvoir fasciste. Il ne faut pas oublier non plus que la structure sociale de l'Allemagne est tout autre que celle de l'Italie, que la classe ouvrière y est infiniment plus nombreuse, mieux organisée, davantage sous l'influence communiste particulièrement à Berlin où le parti communiste est le parti le plus fort.

Le 11 février, dans un article intitulé La peste brune gouverne,signé (T.), les mêmes thèmes sont repris jusqu'à l'obsession ; les mots masse et front unique à la base reviennent constamment sur fond d'appel à la grève générale. Ce genre d'articles va se répéter pendant encore plusieurs mois, mais à partir de l'été 1933, ils disparaissent progressivement, sans doute parce que la résistance du KPD et des travailleurs allemands est tellement insignifiante qu'elle rend ridicules ces appels messianiques. Au cours de l'automne il va de nouveau être question de l'Allemagne, pour les mêmes raisons que dans les autres journaux. D'abord en raison du retrait de l'Allemagne de la Société des Nations ; le Drapeau Rouge dénonce la germanophobie ambiante dans un article ironiquement intitulé Sus aux boches ! (28 octobre*, signé V.). Cette dénonciation s'accompagne aussi d'une condamnation de la Société des Nations dans son ensemble, comme c'est encore le cas le 9 décembre 1933 :

Qui l'eût cru que Nicole un jour se montrerait partisan de cette association de brigands destinée à mieux masquer les préparatifs de guerre particulièrement aux yeux de la petite bourgeoisie.

Ensuite, si l'Allemagne revient à la une, c'est surtout à cause du procès des incendiaires présumés du Reichstag, parmi lesquels Dimitrov et Thaelmann. Presque chaque numéro, jusqu'au mois de mars 1934, s'étend en long et en large sur cette affaire, dénonçant la dictature fasciste hitlérienne et rappelant tout ce que la classe ouvrière doit aux dirigeants communistes. Cette campagne n'est d'ailleurs pas une initiative du Drapeau Rouge, car en fait il s'agit d'une campagne internationale orchestrée par Willy Mützenberg 63.

Concernant la Nuit des longs couteaux, on constate que La Lutte, l'organe communiste ayant pris ce nom le 1er mai 1934, ne croit absolument pas à la thèse du complot contre Hitler :

Hitler a annoncé que les chefs des troupes d'assaut avaient comploté avec les représentants de la réaction - les monarchistes de von Papen - et avec une mystérieuse puissance étrangère. Personne dans le monde n'a pris au sérieux cette version officielle destinée à faire accepter la sanglante hécatombe de samedi dernier. (L'ébranlement du fascisme allemand, 6 juillet 1934*)

En fait l'événement est interprété comme la résultante de la déception des masses, qui attendaient une politique de gauche mais qui ont été dupées par la démagogie des nazis, ajoutée à l'action souterraine du Parti communiste allemand qui continue, dans l'illégalité, son travail de sape contre le régime. La position de Hitler serait donc très précaire, et il est permis d'espérer l'effondrement du fascisme allemand puis son remplacement par un régime de type soviétique.

Il convient aussi de noter l'attitude du Parti communiste face au nouveau gouvernement genevois : Léon Nicole et le Parti socialiste sont dénoncés sur tous les tons pour leur soi-disant collusion avec la bourgeoisie et donc le fascisme. C'est le cas le 11 novembre 1933, à la suite des élections au Grand Conseil :

Le gauchisme de Léon Nicole fait passer la marchandise des Rosselet et consorts qui passent d'ailleurs en tête de liste comme de coutume avec les voix des bourgeois.(Le résultat des élections)

Cela est également exprimé dans un article du 20 janvier 1934, intitulé Dans le Parti. Une discussion sur la ligne du parti envers le gouvernement Nicole :

Le Comité central est décidé à combattre ces fautes opportunistes [démagogie préélectorale du PSG] partout où elles se manifesteront et à fixer au cours d'une discussion approfondie dans l'ensemble du parti sa position de lutte intransigeante contre la social-démocratie de gauche, en soulignant et expliquant le rôle du parti communiste.

On le voit, le Parti communiste genevois suit assez bien la ligne fixée par la IIIème Internationale Communiste, même si celle-ci intervient de temps en temps pour remettre le PCG dans le droit chemin 64. Cette politique sectaire, qui isole les partis communistes, ne sera remise en cause dans La Lutte qu'à partir du juillet 1934, après le Pacte d'unité d'action signé en France entre le Parti communiste et la Section Française de l'Internationale Ouvrière (SFIO). Cette nouvelle ligne politique semble tout de suite bien accueillie par les communistes romands, qui appellent à un pareil rapprochement en Suisse et à Genève. En effet, La Lutte adopte rapidement le slogan Pour l'unité d'action ; et d'autre part, le 28 juillet 1934, elle publie sur trois quarts de page un article intitulé Comment fut conclu en France le Pacte de lutte contre le fascisme, introduit par ces mots :

Et alors, plus fortement que jamais, vous frappe la demande : pourquoi pas en Suisse ? Pourquoi pas à Genève ? Pourquoi pas à Lausanne ?

Suivent alors des extraits du compte-rendu de la séance entre socialistes et communistes français ; sont publiées des interventions de Cachin, Léon Blum, Lebas, Zyromski et Maurice Thorez. Et l'article se conclut ainsi:

Nous le répétons. Cet dans cet esprit-là que les communistes de Suisse veulent discuter d'unité d'action. Camarades socialistes, êtes-vous d'accord avec nous ? Alors faites-le nous savoir. Ecrivez-nous.

Toutefois, les communistes genevois continuent à dénoncer les socialistes avec énergie. A l'automne 1936, lors du renouvellement du législatif et de l'exécutif genevois, les communistes et les socialistes feront liste commune, ce qui ne leur rapportera pas le même succès qu'au Front populaire français, puisqu'ils ne totalisent que 40 sièges au Grand Conseil (contre 45 pour les socialistes en 1933).

On peut d'ailleurs remarquer, à propos de Front populaire, que ce terme a souvent été utilisé par les historiens pour qualifier le gouvernement à majorité socialiste de 1933 65. A notre avis il s'agit d'une utilisation anachronique et abusive. Effectivement, en 1933 il n'est pas question pour les communistes de se rapprocher des socialistes, et à plus forte raison des radicaux. L'assouplissement de la position de la Internationale Communiste ne commencera qu'en avril 1934 66, elle sera théorisée par Georges Dimitrov en 1935 et ne portera ses fruits qu'en 1936, en Espagne et en France notamment. En 1933, les socialistes vont seuls aux élections, sans radicaux ni communistes, même si le Parti socialiste genevois, comme nous l'avons déjà dit, englobe des tendances assez éloignées. Utiliser le terme de Front populaire dans ces conditions, c'est enlever à ce mouvement ce qui fait son originalité, à savoir la volte-face de l'Internationale Communiste et la mise au point d'un programme minimum entre trois partis différents. D'ailleurs, en 1933, absolument personne n'utilise le terme de Front populaire, pour la bonne et simple raison qu'il ne signifie rien.

2.4.2 : Le Réveil anarchiste, organe de Louis Bertoni

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Le Réveil anarchiste est un bi-mensuel fondé en 1900 par Louis Bertoni, d'origine tessinoise, qui exerce le métier de typographe à Genève 67 ; Lucien Tronchet, maçon et futur secrétaire général de la FOBB, collabore régulièrement à la rédaction du Réveil anarchiste. Ce journal paraît avec une remarquable régularité jusqu'en 1940 ; près de la moitié de son volume est édité en italien, conséquence de ses liens avec les immigrés italiens et avec le Tessin. Disons le d'emblée, pour notre sujet ce périodique comporte assez peu d'intérêt. En effet Le Réveil anarchiste fait partie de ces journaux d'opinion dont la doctrine ne varie pas, inlassablement exposée, pareille à elle même, au fil des numéros.

Comme on peut s'en douter, Le Réveil anarchiste donne une image entièrement négative du national-socialisme, qui est mis sur le même plan que l'Italie mussolinienne et que l'Union soviétique de Staline. Ces trois régimes sont dénoncés pour leurs aspirations totalitaires à l'intérieur et leur militarisme impérialiste à l'extérieur. Le communisme de la IIIème Internationale est dénoncé comme inopérant face à la montée des fascismes :

Ajoutons que si en Allemagne où il comptait des millions d'adhérents, le Parti communiste à l'heure décisive n'a su opposer aucune résistance, ce n'est pas en Suisse, où il ne réunit pas même la soixantième partie des électeurs, qu'il saura agir.(8 juillet 1934, La révolte des dupes)

Toutefois l'analyse des causes du fascisme ne se distingue pas des analyses faites par la gauche en général : le coupable c'est le capitalisme, dont le fascisme est le chien de garde :

A part que ce traité est déjà virtuellement annulé, nous insistons que ce n'est pas le traité de Versailles qui nous vaut la crise, le chômage, la misère et les menaces de guerre. Cela découle du régime capitaliste, qui se sentant frappé, impuissant, menacé, cherche à se sauver par tous les moyens, même les pires comme le fascisme et la guerre, qui peuvent l'acculer à une situation désespérée.(28 mars 1936, Les pacifistes et la guerre)

L'influence du Réveil anarchiste est difficile à évaluer, notamment du fait qu'aucun parti ne défend ses idées devant les électeurs ; son tirage oscille entre 1500 et 2500 exemplaires mais il est aussi diffusé ailleurs en Suisse et à l'étranger. Peut-être a-t-il eu une influence sur le milieu anarcho-syndicaliste, par exemple, encore qu'il n'y soit pas beaucoup question de syndicalisme mais plutôt d'un anarchisme limité à ses aspects théoriques.

3 : Conclusion

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Au terme de cette étude, nous aimerions reprendre quelques points. D'abord, une constatation d'ordre très général : la violence avec laquelle s'expriment la plupart des journaux, reflétant la violence des luttes politiques. C'est un fait que dans presque tous les journaux que nous avons dépouillés les causes sont défendues avec ardeur, les propos sont le plus souvent tranchants, parfois violents voire agressifs. Et cela non seulement chez les extrémistes et les révolutionnaires, qui ne sont pas si nombreux mais qui ont su faire parler d'eux, mais aussi chez les soi-disant modérés. Nous avons d'ailleurs été surpris de voir tant de positions farouchement défendues, tant de vibrants plaidoyers et de réquisitoires cinglants, tant d'injures même et tant de campagnes de diffamation. Incontestablement, Genève évolue dans un climat politique très tendu, avec une gauche et une droite toujours plus éloignées l'une de l'autre et la disparition progressive du centre. Ce phénomène, que l'on constate à peu près partout en Europe, ne s'inversera que lorsque la Suisse sera confrontée à l'imminence d'un second conflit mondial. L'unité du pays se refera alors en réaction au danger extérieur ; cette unité sera d'ailleurs facilitée par la répression des partis politiques extrémistes.

Ensuite, c'était la question que nous nous étions posée dans l'introduction, quels furent les mouvements qui tombèrent dans le champ magnétique du nazisme ? Nous n'en avons pas trouvé d'autres que l'OPN de Gross, s'exprimant par son organe Réaction, encore qu'en matière de politique extérieure il soit difficile de juger puisque les avis sur la question sont inexistants. Il faut également mentionner deux personnages, Lucien Cramer et Henri-Louis Servettaz : c'est que leur antisémitisme extrême les a conduits à admirer le seul régime vraiment judéophobe qui existait. A l'Union Nationale, on n'a approuvé le nouveau régime allemand que de manière partielle, essentiellement pour son antimarxisme et son antilibéralisme, pour son nationalisme, pour sa lutte contre la franc-maçonnerie, pour le principe du chef, pour le culte de la force - éléments que l'on retrouve dans le fascisme italien ; à cela il faut encore ajouter l'antisémitisme, propre au national-socialisme (en ce qui concerne notre période). Pour ce qui est de la politique extérieure du Troisième Reich il est plus difficile de juger, car le sujet est peu traité ; mais il semble bien que l'extrême droite ait nourri une certaine crainte envers le militarisme allemand. Du côté du Parti indépendant et chrétien-social, en supposant que René Leyvraz, Henri Schubiger et Henri Berra en soient représentatifs, si on apprécie l'antimarxisme et le corporatisme du régime hitlérien, ainsi que, dans une certaine mesure, son antisémitisme, sa politique religieuse est vivement condamnée.

Dans le Journal de Genève, les signes d'approbation en matière de politique intérieure sont très rares, et ils concernent uniquement la lutte contre l'extrême gauche et le désordre politique et social de la République de Weimar. Pour le reste la condamnation l'emporte nettement ; en matière de politique extérieure la désapprobation est très nette, même si certaines revendications allemandes semblent légitimes (en particulier la révision de la Partie V du traité de Versailles, qui établit l'infériorité militaire de l'Allemagne). Mais il s'agit là de revendications allemandes qui ne sont pas propres au national-socialisme. De plus les moyens employés par les nationaux-socialistes sont contraires aux statuts de la Société des Nations, chose inadmissible pour la plupart des rédacteurs du journal.

Dans le milieux radicaux, c'est une condamnation sans équivoque de toute la politique hitlérienne, même si on ne s'éternise pas sur l'écrasement des communistes et des socialistes. En matière de politique extérieure on sent une forte aversion pour l'Allemagne en général, indépendamment du national-socialisme. Les Allemands sont vus comme des éternels va-t-en-guerre, menaçant la paix en Europe et l'indépendance de la Suisse.

Plus à gauche, dans Le Travail, Le Drapeau Rouge, La Lutte et Le Réveil anarchiste, il n'est pas question d'une quelconque approbation. Seul l'anti-germanisme est dénoncé, mais cela est sans rapport avec le national-socialisme, comme d'ailleurs la dénonciation du traité de Versailles, qualifié d'impérialiste. Cela doit évidemment être mis en rapport avec les bonnes relations que maintiennent l'URSS et l'Allemagne depuis la fin de la première guerre mondiale, quelles que soient leurs différences idéologiques.

On constate donc une nette contradiction au sein de presque toutes les tendances politiques, puisque les attitudes s'inversent suivant qu'il est question de la politique extérieure ou intérieure du Reich. Schématiquement, la droite est défavorable à la première et favorable à la deuxième, alors qu'à gauche c'est le contraire. Mais ces tendances, avec le temps, vont gagner en cohérence et, de manière générale, à la veille de la guerre l'extrême droite prendra le parti de l'Allemagne même en politique étrangère, et la gauche ne trouvera plus d'excuse au militarisme allemand.

On peut aussi faire quelques constatations d'ensemble sur la presse genevoise. Par exemple, on peut se demander qui, et dans quelle mesure, a comparé le régime mussolinien et le régime hitlérien ; est-ce une assimilation fréquente ou n'appartient-elle qu'à la gauche ?

A l'extrême gauche, l'assimilation est systématique : les deux régimes sont qualifiés de fascistes et aucune différence n'est faite entre l'un et l'autre. Mais il faut aussi dire que dans le Travail, le terme de fasciste s'applique un peu à tout et n'importe quoi ; quant aux communistes ils en font un usage encore plus large puisqu'à leurs yeux ils sont les seuls - avec peut-être les anarchistes et les trotskistes, considérés comme des sectaires de gauche- à ne pas être fascistes. A force d'être utilisé à tort et à travers, le terme ne désigne plus rien de précis : il sert seulement à désigner un ennemi politique.

Les radicaux assimilent assez souvent les deux régimes et les deux personnages ; certes ils les dissocient sur certains points, mais tout comme l'historien actuel le ferait, l'Allemagne national-socialiste n'étant pas l'Italie fasciste. D'autre part certains rédacteurs ont également tendance à adjoindre l'URSS à ces deux pays, non pas pour former la catégorie fasciste mais celle de totalitaire ou, sur le plan économique, de collectiviste (Le Peuple Genevois, 8 juillet 1933, Le programme d'Hitler s'affirme de plus en plus collectiviste-national, et Le Genevois, 17 janvier 1934*, Hitler et le marxisme).

Mais également plus à droite, chez les démocrates, les chrétiens-sociaux et à l'Union Nationale, s'il ne s'agit pas toujours d'assimilation pure et simple, Mussolini et Hitler, l'Italie et l'Allemagne, sont fréquemment comparés, et ces comparaisons vont parfois assez loin. En tous cas le national-socialisme, dès février 1933, n'est jamais comparé à autre chose qu'au fascisme italien, excepté dans le Journal de Genève où l'hitlérisme est, mais pas très souvent, comparé au bolchevisme pour son totalitarisme et son anti-individualisme. L'extrême droite, quant à elle, compare souvent les deux dictateurs, louant leur lutte contre le marxisme et le capitalisme et leur conception autoritaire de l'Etat.

Autrement dit, la parenté entre les deux régimes a paru évidente dans tous les milieux politiques, dès le mois de février 1933. Mais au début de cette année, de manière très générale, Hitler est perçu comme imitateur du fascisme italien, et un imitateur assez médiocre. Cette attitude se modifiera au cours des mois, au fur et à mesure que Hitler s'affirme dans son rôle du Führer, qu'il fait preuve d'originalité et d'une habileté politique qu'on ne lui soupçonnait pas. Avant la fin de l'année, presque tous les observateurs auront compris que Hitler est bien plus qu'une pâle copie du dictateur italien.

Un phénomène quelque peu identique se produit concernant les liens existant entre le national-socialisme et la restauration impériale. Dans les premières semaines du nouveau cabinet, la quasi-totalité tous les journalistes genevois ont vu en Hitler le jouet de la réaction, celui à qui l'on ferait porter le chapeau de la restauration des Hohenzollern ; au mieux, Hitler était perçu comme désirant cette restauration. Mais dès le mois de mars 1933, une bonne partie de ces journalistes comprend que le petit caporal autrichien, l'heimatlos ex-peintre en bâtiment, a d'autres ambitions politiques et qu'il veut le pouvoir pour lui et son parti. Toutefois, encore en août 1934, au moment où se pose la question de la succession de Hindenburg, certains commentateurs envisageront la retour de la dynastie déchue.

C'est probablement ces erreurs d'appréciation qui ont fait que l'extrême droite s'est singulièrement désintéressée de Hitler dans les premiers mois de son accession au poste de chancelier.

A ce propos, il peut être intéressant de se demander si la presse en général était bien informée, et si à son tour elle informait bien son lecteur, et de se demander aussi si ses analyses des différentes situations sont pertinentes.

Disons le tout de suite, en ce qui concerne la qualité et la quantité des informations diffusées, notre sentiment rejoint celui d'Alfred Grosser :

Nous avons été surpris de constater à quel point la simple juxtaposition d'extraits de presse pouvait suffire pour reconstituer la trame des événements. L'avènement d'Hitler a fait l'objet, au cours de ces dernières années, de nombreux travaux historiques dont nous indiquons les meilleurs dans la bibliographie. Leurs auteurs ont disposé d'une véritable montagne de documents inconnus par les journaux du temps: archives publiques et privées, dépositions au procès de Nuremberg, mémoires, témoignages divers. [...] Un observateur qui, en 1932 et 1933, aurait consciencieusement dépouillé la presse internationale, était en mesure de connaître l'enchaînement des faits. Si, au début de l'été 1933, il avait rédigé, à partir de ce dépouillement, une histoire de l'avènement d'Hitler et de son installation au pouvoir, il aurait même pu donner une interprétation globale de ces faits qui ne se serait pas nécessairement écartée de beaucoup des études écrites un quart de siècle plus tard. [...] Mais les journalistes ont à chaque fois pressenti ce qui était en train de se passer, ils ont le plus souvent retrouvé le vrai à partir du vraisemblable, reconstitué la réalité à partir du sillage perceptible que laissait l'événement invisible.[...] 68

Bien sûr, cela ne s'applique pas à tous les journaux, mais seulement aux journaux d'information. Sans surprise, c'est le Journal de Genève et le Journal des Nations qui sont les plus intéressants de ce point de vue. Les autres quotidiens apportent un peu moins d'informations. Quant aux journaux d'opinion, ils présentent souvent peu d'intérêt sous cet angle car ils ne présentent que les informations qui étayent leurs thèses, quand ils ne les inventent pas.

Qu'en est-il des interprétations des événements ? Il est évident que les analyses sont fortement influencées par les a priori idéologiques de chaque journaliste. Par exemple, si le Drapeau Rouge semble avoir prédit l'arrivée au pouvoir d'Hitler à la fin de l'année 1932, cela ne doit sans doute pas être attribué à une clairvoyance au-dessus de la moyenne, mais plutôt à une tendance récurrente aux extrémités de l'échiquier politique : celle de crier au loup en permanence et de prophétiser sans relâche l'imminence du déluge, tout en affirmant qu'une lutte énergique peut encore l'éviter. En outre, le NSDAP étant le parti le plus important d'Allemagne, il n'était pas difficile d'imaginer que le président Hindenburg allait être contraint de lui confier le pouvoir.

Ce qui peut surprendre, c'est que l'arrivée au pouvoir de Hitler, quel que soit le journal considéré, n'est pas interprétée comme le début d'une nouvelle période de l'histoire. En effet, cet événement s'inscrit dans la continuité de la politique allemande, marquée par une instabilité politique et sociale chronique ; dès lors Hitler paraît être un chancelier comme les autres, voué à laisser sa place après quelques semaines de pouvoir, d'autant plus que son programme électoral est singulièrement irréalisable. Or, maintenant nous le savons, Hitler est resté chancelier plus de douze ans, jusqu'au 30 avril 1945. Il a également été élu président du Reich (et donc chef suprême des forces armées) ; le 4 janvier 1938, après avoir opéré des purges dans l'état-major de l'armée, il prend en outre la fonction de commandant en chef des forces armées, c'est-à-dire de chef de l'état-major général. C'est ce qui lui a permis de diriger la guerre qu'il projetait depuis longtemps, avec les conséquences que l'on sait. Après coup, il est manifeste que le 30 janvier 1933 est un événement charnière, dans l'histoire de l'Europe, si non du monde. Il y a donc une différence profonde entre les interprétations contemporaines de l'événement et celles qui ont été faites depuis lors. Cela montre la difficulté qu'il y a à saisir la portée des événements quand ceux-ci sont vécus au jour le jour. Cela explique également en grande partie une certaine tolérance à l'égard du national-socialisme, qui aujourd'hui nous semble difficilement compréhensible puisque nous assimilons ce mouvement, de manière plus ou moins consciente et justifiée, aux dizaines de millions de morts de la seconde guerre mondiale et aux horreurs du génocide juif.

La Nuit des longs couteaux offre également des exemples intéressants d'interprétations. Ce qui frappe d'abord, dans les quotidiens, c'est un nombre de dépêches beaucoup plus grand que pour n'importe quel événement des dix-huit mois précédents ; pendant plusieurs jours ces quotidiens en publient une à deux pages entières. Ce qui apparaît comme le plus étonnant, c'est que l'existence d'un complot contre Hitler a peu été mise en doute. Elle ne l'a été que par ceux qui considéraient Hitler comme un individu particulièrement cynique, c'est-à-dire la gauche. Pourtant la collusion entre Roehm et von Schleicher aurait dû paraître invraisemblable, ces deux hommes n'ayant rien en commun. Cela peut s'expliquer, d'une part, par le manque d'informations dont disposaient les journaux (pas de correspondants, agences de presses étrangères étroitement contrôlées) ; mais d'autre part il ne faut pas oublier qu'une grande partie des observateurs étaient en attente d'une réaction de l'opposition à Hitler, que cette opposition soit de droite ou de gauche. Par conséquent ils s'attendaient, notamment en raison des difficultés économiques que connaissait l'Allemagne et qui avaient souvent été soulignées, à ce qu'il se passe quelque chose. Or Hitler était censé être sur la défensive, alors que les différentes oppositions au régime semblaient pouvoir reprendre l'initiative. Pour cette raison, l'existence d'un complot contre Hitler allait de soi, et, au contraire, un tel coup d'éclat de sa part, en l'absence d'une conjuration, était inconcevable.

On constate donc qu'il était possible, par le biais de la presse genevoise, d'être bien informé sur la politique intérieure et extérieure de l'Allemagne national-socialiste ; par contre l'analyse de ces informations mène souvent à des interprétations erronées : ceux qui travaillent avec les meilleures informations ne sont pas toujours ceux qui en comprennent le mieux la portée, et, inversement, l'analyse partisane d'informations fantaisistes aboutit parfois à d'excellentes conclusions. Et, malheureusement, tout porte à croire qu'il en est encore de même aujourd'hui.







Notes


1 La France dans le champ magnétique des fascismes, in Le Débat, n° 32, novembre 1984, pp. 52-72.

2 L'ouvrage d'Alex SPIELMANN: L'aventure socialiste genevoise. 1930-1936, ne couvre malheureusement pas l'ensemble des années trente. D'autre part il est essentiellement descriptif et axé sur la politique genevoise: sa perspective est donc différente de la nôtre, axée sur la politique extérieure ; il en de même pour le travail de Pierre-Michel REY : Genève 1930-1933. La révolution de Léon Nicole. Essai sur l'utilisation politique d'une crise économique, 1976. Par contre il existe sur ce sujet plusieurs mémoires de licence d'histoire générale à l'Université de Genève et nous donnons en bibliographie ceux que nous avons utilisés.

3 Albert GOSSIN: La presse suisse, Imprimeries Delachaux & Niestlé, Neuchâtel, 1936.

4 Otto PÜNTER: Société suisse de radiodiffusion et télévision. 1931-1970, 1971. Toutefois l'influence qu'ont pu avoir les émetteurs étrangers est plus difficile à cerner ; il en va de même pour les actualités filmées diffusées dans les cinémas ou encore pour la presse étrangère.

5 pp. 54-55.

6 André LASSERRE: La Suisse des années sombres, 1989, p.7.

7 Jacques MEURANT: La presse et l'opinion de la Suisse romande face à l'Europe en guerre (1939-1941), Editions de la Baconnière, Neuchâtel, 1976, p.14.

8 Jacques MEURANT, op.cit., p.624.

9 Comme le dit Olimpia PINA: L'image du "franquisme" à travers le Journal de Genève: 1936-39, 1945-48, mémoire de licence d'histoire contemporaine présenté à l'Université de Genève en 1983: "Il semble absurde de tracer des courbes sophistiquées qui ne feraient qu'illustrer des évidences perceptibles à la première lecture des sources."

10 Voir chapitre 4.1 : Sources : journaux

11 Albert GOSSIN, op. cit., p. 66.

12 Voir la bibliographie, Ouvrages publiés, Genève et Suisse, p. xyz.

13 Albert GOSSIN, op. cit., p. 104.

14 La vie parlementaire dans le canton de Genève de 1929 à 1939, Editons Universitaires, Fribourg, 1972. Mémoire de licence, Faculté des Lettres de Fribourg, p.1.

15 Jean-Claude FAVEZ: Genève et la crise des années trente. Quelques éléments de réflexion et de suggestion, Presses universitaires romandes, 1975, p.264:

16 Youssef CASSIS : L'Union de Défense Economique (1923-1932), mémoire de licence présenté à l'Université de Genève, 1974.

17 Roger JOSEPH : L'Union Nationale. 1932-39. Un fascisme en Suisse romande, Editions de la Baconnière, Neuchâtel, 1975.

18 Collectif: Un siècle de vie genevoise, Genève, 1929.

19 Eugène Pittard est l'un des plus grands scientifiques genevois du début du siècle, spécialisé surtout en anthropologie et en ethnologie ; à ce titre il écrit pour le Journal de Genève un article sur les aryens (19 octobre 1933), où il déclare : "Pour nous, anthropologistes, il n'y a pas de race aryenne. " Eugène Pittard a fondé le Musée d'ethnographie de Genève, il a été doyen de la Faculté des sciences puis recteur de l'Université de 1940 à 1942.

20 Collectif: Un siècle de vie genevoise, Genève, 1929, p.133.

21 Charles HEIMBERG : Les trains sont à l'heure...mais à quel prix ? Mussolini et le fascisme dans le " Journal de Genève " (1921-1936), mémoire de licence de l'Université de Genève, 1990, p. 167 et Mauro CERUTTI : Georges Oltramare et l'Italie fasciste dans les années trente, in Etudes et Sources, n° 15, pp. 151-211, Berne, 1989.

22 En octobre 1933 il part en Chine, et à son retour occupe une chaire d'histoire à l'Ecole polytechnique de Zürich ; il décède brusquement en 1934.

23 Probablement Pierre Bernus, correspondant à Paris entre 1909 et 1914, puis à partir de 1917. Il est également collaborateur de la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes à Paris, des Cahiers de la Ligue pour la défense des droits des peuples, de l'Encyclopédie britannique, de la Revue de Paris, du Monde nouveau et du Journal des Débats.

24 Wladimir d'Ormesson est un journaliste français qui collabore également au Temps et à la Revue de Paris ; il se fait notamment remarquer par ses positions favorables au désarmement.

25 Sur ce sujet, voir l'ouvrage de Maurice VAÏSSE : Sécurité d'abord. La politique française en matière de désarmement. 9 décembre 1930- 17 avril 1934, Editions Pedone, Paris, 1981.

26 Bien que les nationaux-socialistes soient en minorité au sein du cabinet Hitler, il est clair que dans les faits, à partir du mois de mars, c'est eux qui dirigent l'Allemagne.

27 Les 19, 21, 22, 26, 28 et 29 octobre, et le 5 novembre.

28 Maurice VAÏSSE, op. cit.

29 Charles BLOCH : La Nuit des longs couteaux, Editions Juillard, 1967, p.231.

30 Jean MARTIN et Pierre-E. BRIQUET : L'U.R.S.S. à Genève, Imprimerie du Journal de Genève, Genève, 1934.

31 Albert Béguin (1901-1957) est un écrivain et un critique littéraire suisse ; il étudie à Genève de 1919 à 1924, obtient une licence en lettres puis va à Paris. Entre le 24 septembre 1933 et le 9 octobre 1934 il collabore au Journal de Genève. Trois de ces articles seront refusés par le quotidien genevois suite à l'intervention de la princesse Sayn Wittgenstein. En 1937 Albert Béguin reçoit le prix Amiel pour son doctorat. De 1950 à 1957 il est directeur de la revue française Esprit.

32 Pour un aperçu d'ensemble de la presse radicale à Genève, voir René RIEDER : Liberté humaine, justice sociale. Le Parti radical genevois, pp.101-119.

33 Nous ne parlerons pas de la Revue juive de Genève, " Organe mensuel de liaison internationale " et dirigée par Josué Jehouda, car ce n'est pas un organe politique et il n'a que peu de liens avec Genève. Cependant on peut constater que dès le mois de février 1933, il accorde une place très grande aux persécutions antisémites qui ont lieu en Allemagne.

34 Hervé de Weck, Courrier de Genève, 20 février 1998, p.16.

35 Liberté humaine, justice sociale. Le Parti radical genevois, p.39.

36 Roger JOSEPH, op. cit.

37 Stanley G. PAYNE : A history of Fascism, 1914-1945, UCL Press, 1995. p.249 : " This represented among other things an attempt to realize the Catholic ideals of the recent papal encyclical Quadragesimo Anno (1931), which endorsed corporative forms of organization and representation for Catholic society. "

38 Cependant René Leyvraz reviendra sur le sujet dans la Liberté Syndicale.

39 Par exemple : 29 et 31 mai, 3, 9, 10, 12 et 17 juin 1934.

40 René LEYVRAZ : La crise de notre démocratie, édité par les Jeunes Travailleurs de Genève à l'occasion de leur 5ème anniversaire, 1937.

41 René LEYVRAZ : Principes d'un ordre nouveau, Editions Victor Attinger, Neuchâtel-Paris,[sans date, mais après juin 1940], 3ème édition.

42 Zeev STERNHELL : Ni droite ni gauche. L'idéologie fasciste en France, Editions du Seuil, 1983.

43 René LEYVRAZ: Quand le catholicisme arriva au tournant de l'histoire, pp. 102-114, in COURRIER: Cent ans d'histoire.

44 Jacques MEURANT, op. cit., page 46, note 14.

45 Charles-F. POCHON : Le passé socialiste de René Leyvraz, in Cahiers d'histoire du mouvement ouvrier, n° 4, novembre 1987, pp. 23-28.

46 Ingrid LIEBESKIND : Petit et grand commerce à Genève. Antagonismes et rumeurs politiques, in Bulletin de la Société d'histoire et d'archéologie de Genève, 1988, pp. 21-81.

47 Roger JOSEPH: L'Union Nationale, Neuchâtel, 1975.

48 Mauro CERUTTI, op. cit.

49 Imprimerie E. Burri, Château-d'Oex, mai 1937.

50 "La seule faute que le Japon ait commise, c'est d'avoir attendu trop longtemps, c'est d'avoir agi trop tard !" (25 mars 1933, " La faute du Japon ", signé Cunctator, page 2)

51 Roger JOSEPH, op. cit., p.209.

52 Voir par exemple Roland BUTIKOFER : Le refus de la modernité. La Ligue vaudoise : une extrême-droite et la Suisse (1919-1945), Editions Payot, Lausanne, 1996, deuxième partie, chapitre I : " Faire front " et chapitre III : " La Ligue des patries romandes ".

53 Mauro CERUTTI, op. cit.

54 Jacques DROZ (s.d.) : Histoire générale du socialisme, 4 volumes, Presses Universitaires de France, Paris, 1977.

55 André Oltramare est le frère de Georges Oltramare ; de 1924 à 1927 il est Conseiller d'Etat et en 1928 il est nommé professeur de langue et littérature latines à la Faculté des Lettres de Genève où il restera jusqu'en 1947.

56 Léon NICOLE: Mon voyage en URSS, 14 février - 14 mars 1939, Editions du Faubourg, Genève, 1939.

57 A ce propos voir Pierre JEANNERET: Léon Nicole et la scission de 1939, contribution à l'histoire du Parti socialiste suisse, Fonds national suisse de la recherche scientifique, 1986/1987.

58 René RÉMOND : Les droites en France, Editions Aubier Montaigne, 1982, p.35-36.

59 Brigitte STUDER : Un parti sous influence. Le Parti communiste suisse, une section du Komintern. 1931 à 1939, Editions L'Age d'Homme, Lausanne, 1994.

60 Jean Vincent (1906-1989), d'origine française, collabore au Drapeau Rouge dès 1923. De 1936 à 1940, puis de nouveau de 1944 à 1986, il est député au Grand Conseil, de 1947 à 1980 il est aussi député au Conseil National ; de 1944 à 1987 il fait du partie du bureau politique du Parti du Travail suisse.

61 Pour ce paragraphe, se référer à l'excellent ouvrage de Brigitte STUDER : Un parti sous influence. Le Parti communiste suisse, une section du Komintern. 1931 à 1939, Editions L'Age d'Homme, Lausanne, 1994.

62 Jules Humbert-Droz (1891-1971) est un Neuchâtelois qui a fait des études en théologie ; dès 1919 il adhère au Parti communiste suisse et occupe rapidement de hautes fonctions au sein de l'Internationale Communiste. En 1928 il est élu comme secrétaire général du VIème Congrès de l'Internationale Communiste, mais en 1929 il tombe en disgrâce. Peu après il est partiellement réhabilité, mais, en 1932, il est à nouveau destitué pour " opportunisme de droite ". En 1936 il revient à la tête du Parti communiste suisse ; toutefois en 1943 il est exclu du parti : il adhère alors au Parti socialiste suisse.

63 Stéphane COURTOIS et Marc LAZAR : Histoire du Parti communiste français, PUF, Paris, 1995, p.121.

64 Sur les rapports entre le Parti socialiste genevois, le Parti communiste genevois et la IIIème Internationale, se référer à Brigitte STUDER : Les communistes genevois, Léon Nicole et le Komintern dans les années trente, in Bulletin de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Genève, 1992, pp. 65-85.

65 Marie-Madeleine GROUNAUER : La Genève rouge de Léon Nicole. 1933-1936, Editions Adversaires, 1975 ; François-Xavier PERROUD : La vie parlementaire dans le canton de Genève de 1929 à 1939, mémoire de licence présenté à la Faculté des Lettres de Fribourg, Editions Universitaires, Fribourg, 1972.

66 José GOTOVITCH, Pascal DELWIT et Jean-Michel DE WAELE : L'Europe des communistes, Editions Complexe, Bruxelles, 1992, p.92 : " C'est donc à partir d'avril 1934 que des changements sont perceptibles à la direction de l'IC. "

67 Sur ce périodique, voir Marianne ENCKELL : Un journal anarchiste genevois : Le Réveil (1900-1940), mémoire de licence présenté à la Faculté de Sciences économiques et sociales de Genève, 1967.

68 Alfred GROSSER : Hitler, la presse et la naissance d'une dictature, Librairie Armand Colin, Paris, 1959. 262 pages. p. 9.




4 : Sources et bibliographie

Note : le numéro suivant le titre du périodique indique la référence à la Bibliothèque Publique et Universitaire de Genève.


4.1 : Sources : journaux

Quotidiens:

Le CourrierRc 23
Le Journal de GenèveRc 53
La SuisseRc 150
Le TravailRc 282
Non-quotidiens

L'Action NationaleRc 282
L'Anti-maçonRc 39 / 32
La BiseRc 840
Classe contre classeRc 39 /37
La Dernière cartoucheRc 39 / 29
Le Drapeau rougeRc 380
L'Echo IllustréRb 766
L'Effort démocratiqueRc 39 / 29
Le GenevoisRc 45
L'Homme de droiteRc 39/32
L'Homme de gaucheRc 39 / 32
L'Homme du peupleRc 39 / 32
Jeune EuropeRc 39 / 29 (6)
Jeune SuisseRc 39 / 29
La Liberté SyndicaleRc 854
La LutteRc 380 a
La Nouvelle SuisseRc 39 / 32
L'Ordre ProfessionnelRc 859
Patrie SuisseGf 2074
Le Peuple GenevoisRc 180
Le PiloriRc 378
RéactionRc 872
La RelèveRc 39 / 38 (27)
Le Réveil anarchisteRc 165
Le Réveil HelvétiqueRc 39/32
Revue juive de GenèveRb 765
La Sentinelle de GenèveRc 39 / 29
VouloirGf 1728





4.2 : Autres sources

AUBERT, Théodore A la recherche de l'ordre nouveau, Imprimerie du " Journal de Genève ", 1935. 48 pages.
CRAMER, Lucien Christianisme ou bolchévisme ?, Imprimerie E. Burri, Château-d'Oex, 1937, 13 pages.
LEYVRAZ, René La crise de notre démocratie, édité par les Jeunes Travailleurs de Genève à l'occasion de leur 5ème anniversaire, 1937, 25 pages.
LEYVRAZ, René Principes d'un ordre nouveau, Editions Victor Attinger, Neuchâtel-Paris,[après juin 1940], 3ème édition, 77 pages.
MARTIN, Jean et

BRIQUET, Pierre-E.

L'U.R.S.S. à Genève, (Imprimerie du Journal de Genève), 1934. 117 pages.
MAYOR, Jean-ClaudeImages et événements genevois, 1900-1945, Editions Slatkine, Genève, 1989.
NICOLE, Léon Mon voyage en URSS, 14 février - 14 mars 1939, Editions du Faubourg, Genève, 1939. 223 pages.
OLTRAMARE, Georges Les Souvenirs nous vengent, Genève, 1956, Editions "L'autre son de cloche". 254 pages.

OLTRAMARE, Georges Les Confidences du Pilori, Société d'édition indépendante, Genève, 1935. 133 pages

PÉRREARD, FrançoisGenève 1936- 1957: souvenirs d'un ancien Conseiller d'Etat, A. Jullien, Genève, 1972. 145 pages.
PICOT, AlbertSouvenirs de quelques années difficiles de la République de Genève. 1931-1937, A. Jullien, Genève, 1963.





4.3 : Bibliographie



Genève et Suisse:


BOURGEOIS, Daniel: Le troisième Reich et la Suisse. 1933- 1941, Editions de la Baconnière, Neuchâtel, 1974. 463 pages.

CASSIS, Youssef: L'Union de Défense Economique (1923-32), mémoire de licence présenté à l'Université de Genève, 1974.

CERUTTI, Mauro: Georges Oltramare et l'Italie fasciste dans les années trente, in Etudes et Sources, n° 15, pp. 151-211, Berne, 1989.

ENCKELL, Marianne: Un journal anarchiste genevois : Le Réveil (1900-1940), mémoire de licence présenté à la Faculté de Sciences économiques et sociales de Genève, 1967.

FAVEZ, Jean-Claude et RAFFESTIN, Claude: De la Genève radicale à la cité internationale, in Histoire de Genève, sous la direction de Paul Guichonnet, Privat-Payot, Toulouse, 1974. 406 pages.

FAVEZ, Jean-Claude: Genève et la crise des années trente. Quelques éléments de réflexion et de suggestion, Presses universitaires romandes, 1975. Extrait de Pour une Histoire Qualitative, pp. 253-265. Etudes offertes à Sven Stelling-Michaud

GROUNAUER, Marie-Madeleine: La Genève rouge de Léon Nicole, 1933-1936, Editions Adversaires, 1975. 236 pages.

HEIMBERG, Charles: Les trains sont à l'heure...mais à quel prix ? Mussolini et le fascisme dans le " Journal de Genève " (1921-1936), mémoire présenté à l'Université de Genève, 1990.

JAOUICH, Nicole: La propagande antisémite de l'extrême droite genevoise dans les années trente, mémoire présenté à l'Université de Genève, 1990.

JOSEPH, Roger: L'Union Nationale. 1932-1939. Un fascisme en Suisse romande, Editions de la Baconnière, Neuchâtel, 1975. 438 pages.

JEANNERET, Pierre: Léon Nicole et la scission de 1939. Contribution à l'histoire du Parti socialiste suisse, Fonds national suisse pour la recherche scientifique, 1986/1987.

KUNZ-AUBERT, Ulysse: Libéralisme et démocratie. L'action des démocrates genevois de 1875 à nos jours, Imprimerie du Journal de Genève, 1950. 329 pages.

LIEBESKIND, Ingrid: Petit et grand commerce à Genève. Antagonismes et rumeurs politiques, in Bulletin de la Société d'histoire et d'archéologie de Genève, 1988, pp. 21-81.

PERROUD, François-Xavier: La vie parlementaire dans le canton de Genève de 1929 à 1939, Editons Universitaires, Fribourg, 1972. Mémoire de licence, Faculté des Lettres de Fribourg. 213 pages.

PINA, Olimpia: L'image du "franquisme" à travers le Journal de Genève :1936-39; 1945-48, mémoire présenté à l'Université de Genève, 1983.

POCHON, Charles-F.: Le passé socialiste de René Leyvraz, in Cahiers d'histoire du mouvement ouvrier, n° 4, novembre 1987, pp.23-28.

REY, Pierre-Michel: Genève 1930-1933. La révolution de Léon Nicole. Essai sur l'utilisation politique d'une crise économique, 1976.

RIEDER, René: Liberté humaine, justice sociale. Le Parti radical genevois, Genève, 1993. 139 pages.

RUFFIEUX, Roland (s.d.): Le mouvement chrétien-social en Suisse romande. 1891-1949, Editions Universitaires, Fribourg, 1969. 564 pages.

RUFFIEUX, Roland: La Suisse de l'entre-deux guerres, Lausanne, 1974. 446 pages.

SPIELMANN, Alex: L'aventure socialiste genevoise. 1930-1936, Payot, Lausanne, 1981. 880 pages.

STUDER, Brigitte: Les communistes genevois, Léon Nicole et le Komintern dans les années trente, in Bulletin de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Genève, 1992, pp. 65-85.

STUDER, Brigitte: Un parti sous influence. Le Parti communiste suisse, une section du Komintern. 1931 à 1939, Editions L'Age d'Homme, Lausanne, 1994. 818 pages.

TORRACINTA, Claude: Genève 1930-1939. Le temps des passions

WEIBEL, Ernest (s.d.): Institutions politiques romandes, Editions Universitaires, Fribourg, 1990.



Presse et opinion:

collectif: Courrier: Cent ans d'histoire [1868-1968], Imprimerie du Courrier de Genève, Genève, 1968. 137 pages.

collectif: Rapport du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur le régime de la presse avant et pendant la 2ème GM. 326 pages.

GOSSIN, Albert: La presse suisse, Imprimeries Delachaux & Niestlé, Neuchâtel, 1936, 124 pages. Thèse présentée à la Faculté de Droit de Neuchâtel, Section des Sciences économiques et commerciales

GROSSER, Alfred: Hitler, la presse et la naissance d'une dictature, Librairie Armand Colin, Paris, 1959. 262 pages.

LASSERRE, André: La Suisse des années sombres. Courants d'opinion pendant la Deuxième Guerre mondiale. 1939-1945, Editions Payot, Lausanne, 1989. 406 pages.

MEURANT, Jacques: La presse et l'opinion de la Suisse romande face à l'Europe en guerre (1939- 1941), Editions de la Baconnière, Neuchâtel, 1976.

PÜNTER, Otto: Société suisse de radiodiffusion et télévision. 1931-1970, Société suisse de radiodiffusion et télévision, Berne, 1971. 232 pages.

TAPPOLET, Bernard: L'Espagne tragique. Une extrême droite et une revue anticommuniste face à la Guerre d'Espagne (1936-1939), in Cahiers d'histoire du mouvement ouvrier, n° 13, 1997, pp. 95-118.

Allemagne, France, communisme, nazisme, etc. :

AYÇOBERRY, Pierre: La question nazie. Essai sur les interprétations du national-socialisme (1922- 1975), Editions du Seuil, collection Points-Histoire (H 39), Paris, 1979. 314 pages.

BLOCH, Charles: Le IIIe Reich et le monde, Imprimerie nationale, Paris, 1986. 545 pages.

BLOCH, Charles: La Nuit des longs couteaux, Juillard, collection "Archives", 1967. 255 pages.

BROSZAT, Martin: L'Etat hitlérien. L'origine et l'évolution des structures du IIIe Reich, Fayard, 1985 [1970]. Traduit de l'allemand par Patrick Moreau. 625 pages.

COURTOIS, Stéphane et LAZAR, Marc: Histoire du Parti communiste français, PUF, Paris, 1995, 439 pages.

DROZ, Jacques (s.d.): Histoire générale du socialisme, 4 volumes, Presses Universitaires de France, Paris, 1977.

FREI, Norbert: L'Etat hitlérien et la société allemande. 1933-1945, Editions du Seuil, 1994 [1987], 368 pages.

GISSELBRECHT, A: Quelques interprétations du phénomène nazi en France entre 1933 et 1939, in Relations franco-allemandes 1933-1939, pp. 151-165, 1976.

GOTOVITCH, José, DELWIT, Pascal et DE WAELE, Jean-Michel: L'Europe des communistes, Editions Complexe, Bruxelles, 1992. 352 pages.

GROSSER, Alfred (s.d.): Dix leçons sur le nazisme, Fayard, Paris, 1976. 250 pages.

KERSHAW, Ian: Qu'est-ce que le nazisme. Problèmes et perspectives d'interprétation, Editions Gallimard, 1992.

PIE XI: Nazisme et communisme. Deux encycliques de mars 1937, Desclée, Paris, 1991. Présentation de Michel Sales, introductions de François Rouleau et Michel Fourcade. 199 pages.

REICHEL, Peter: La fascination du nazisme, Editions Odile Jacob, Paris, 1993 [1991], 400 pages.

SHIRER, William L.: Le troisième Reich. Des origines à la chute, Stock, 1964. 1257 pages.

VAÏSSE, Maurice: Sécurité d'abord. La politique française en matière de désarmement. 9 décembre 1930 - 17 avril 1934, Editions Pedone, Paris, 1981.